J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

ETATS DES YEUX | Octobre 2022 | Lettre à Sabine HUYNH | à propos de son livre ELVIS À LA RADIO

 

Sabine HUYNH Elvis à la radio

Une mère ou plusieurs... Une fille ou plusieurs...

Une sœur ou plusieurs... Une femme ou plusieurs...

et puis toi...

 

Chère Sabine,

    Qu’imagines-tu ? Que te lire peut me faire mal ?  Ce n’est pas ma vérité du jour vois-tu. Il faut que je t’explique un peu, au risque de t’encombrer avec mes mots surgis, non du vide, mais des cinquante premières pages de ton livre lu d’une manière gloutonne, anxieuse d’en perdre une miette car je suis désireuse de te témoigner mon enthousiasme, ma joie même qu’un tel texte existe et que je viens de le rencontrer. Je m’étais figuré un livre peu épais, la couverture est trompeuse sur les images internet, et pourtant, il est presque aussi gros que ton Anne Sexton Tu vis ou tu meurs... dont les caractères sont plus larges... C’est ma première bonne surprise, les poèmes du classeur « noir » aux quatre anneaux fiables, ne pouvaient suffire à contenir toute ta colère, tout ton amour, toute ta puissance d’écriture face au destin, face à la vie, face à tout  et à tout moment. J’attendais ton livre radio guidé, dans ta prose bilingue.  J’attendais ta parole impérieuse au milieu de tous les analgésiques de la bienséance. J’attendais que des femmes comme toi ou Annie Ernaux  que tu cites dès le début (et tu ne pouvais pas savoir que Nobel elle aurait...) et bien d’autres qu’on fait semblant de ne pas entendre pour ne pas déranger l’ordre des convenances et le théâtre cruel des assignations au silence. J’attendais un tel livre de toi, et il est là, dans mes mains, « à vif », je sais que je vais  finir de le lire en apnée. Les mots affluent dans ma tête mais je veux d’abord accueillir les tiens. Déjà de beaux passages que j’ai surlignés, je les rejoindrai après. Il faut que je calme ma lecture, que je l’apaise en triant mes émotions comme on trie du linge, du plus sanglant au plus immaculé. Je dois sentir l’odeur d’une lessive maternelle pour te rejoindre et mes propres souvenirs d’enfance et d’adolescence, si différents, si protégés par des parents traumatisés depuis l’enfance mais  qui se sont consolés mutuellement. Unique et universelle, surgissant d’une sorte de gouffre de mémoire irritée, ta parole me donne le pouvoir de m’adresser à mon être intérieur. Je n’en suis même pas étonnée. J’attendais ton livre, vraiment. Le colibri* que tu es, ne pouvait que savoir éteindre un peu l'incendie à force de phrases et d'écriture...

A plus tard. Avec mon affection.

Vendredi 21 Octobre 2022, 19H31

 

*

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »

Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »


Lettre à Charles JULIET | 30 SEPTEMBRE 2022

  LE SIGNE INFINI C.J.

© collection particulière

 

 

 

 

Vendredi  30 Septembre 2022

 

Cher Grand Ami,

                                Comme tu le sais, il y a les « vraies » lettres, celles qu’on reçoit dans sa boîte aux lettres, d’ailleurs tu en as reçu une nouvelle, hier, parmi toutes celles qui vont certainement déferler aujourd’hui, différentes des lettres publiques, celles qui témoignent temporairement d’une relation privilégiée à une œuvre, et à la personne qui l’a conçue. C’est celle que je suis en train d’écrire. Pourquoi essayer de marquer le coup ainsi, seulement à ton 88 ème anniversaire plutôt qu’à un autre depuis les  presque 25 ans que je te connais ? Je vais le savoir en l’écrivant. Je pratique ainsi  le fameux « inattendu » que tu as souvent évoqué, voire convoqué, afin de faire surgir quelque chose du passé, sans en avoir eu l’intention consciente. Ta vie est jalonnée de rencontres, et tu l’as souhaité ainsi pour répondre à ton immense soif de présence et de pensée vivante. J’ai eu le goût de répondre à ta demande de rencontre après une lettre maladroite que je t’avais adressée à propos de Lambeaux, mais j’ai croisé ta route  en tant que lectrice dès 1992 , avec ton récit « L’année de l’éveil » dans un congrès de psychanalystes sur les secrets de famille dont tu ne te souviens pas. A partir de là j’ai lu tous tes livres, et grâce à toi, jusqu’au  X ème tome de ton Journal que tu m’as fait envoyer dédicacé  par ton éditeur. Je me suis émerveillée de la pérennité de nos échanges d’automne et je suis encore étonnée par la quantité d’enveloppes libellées de ta belle encre bleue que je conserve dans mes tiroirs. Je ne dois pas être la seule.

« J’ai toujours négligé mes correspondances » as-tu révélé récemment, avant de commencer à avoir ces problèmes de santé qui gâchent tes journées, et pourtant, cette vie épistolière existe et témoigne de liens humains vivants.  

Il ne m’a pas échappé que les conditions ont bien changé depuis la disparition de ta chère M.L et les effets de cette absence fusionnelle entraînent aujourd’hui des répercussions sur ta façon d’envisager la vie et les relations autour. Nous avions commencé à parler de tout cela et aussi de ton œuvre, mais ton état de santé s’est brusquement dégradé. Toi, l’éternel adolescent amoureux de l’amour  et fidèle ami a vu venir des heures moins clémentes et plus inquiétantes.  Te voici de retour dans tes recès  des années  les plus sombres de ton parcours, pour des raisons différentes, avec ce recours impérieux au silence auquel tu n’as jamais vraiment renoncé.  La lumière baisse, nous-as-tu dit, c’est pourquoi ton besoin de tranquillité et de sécurité au quotidien s’est affirmé.  Il est donc de notre devoir de prendre en compte ton besoin d’éloignement et de discrétion. Ton œuvre est là, accessible, nourricière et celles et ceux qui la découvriront sauront te dispenser de la commenter et de la lire en public. Ton besoin de spiritualité sans religion t’a mené jusqu’où tu voulais aller : cette assise en toi de sérénité longuement modelée et confortée, ce socle solide existe, et tu en revendiques le travail intérieur accompli.  Si le corps a du mal à suivre, personne ne te le reprochera. Tu as dit l’essentiel et  le juste qui donnent le signal utile à celles et ceux qui cherchent dans l’écriture ou dans l’art de quoi avancer. L’aventure est toujours la même disais-tu autrefois, elle passe par le dépouillement et s’accomplit dans la confusion primitive, la lumière s’apprivoise peu à peu jusqu’à devenir une compagne fiable, sincère, économe et bienveillante. Te lire et te relire est pour moi une Joie, tu le sais. Je la partage volontiers. Tu le sais aussi.

Mais ce soir je viens te souhaiter un doux anniversaire,

Je t’imagine entouré de personnes qui veillent à tes côtés et qui respectent ton indépendance.

 Le chiffre 88  m’a tout d’abord impressionnée. Je n’ai pas vu le temps passer. Mais soudain, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un double signe infini redressé  recèlant une valeur symbolique inestimable. J’y ai vu un signe enthousiasmant puisque dans mes recherches j’ai lu la définition qui suit :

Devenu beaucoup plus qu'un signe mathématique, le symbole infini représente aujourd'hui l'éternité et l'amour pour toujours. Il est également symbole de sagesse, de réflexion, d'harmonie et d'amitié.

On n’est donc pas totalement hors-sujet.

Je t’embrasse tendrement pour moi et un peu pour les autres.

Je t’attends.

 

Mth

De La Cause des Causeuses

 


ETAT DES YEUX | Septembre 2022 | les gens qui... | Martin Laquet et Jean-Christophe Schmitt

 

Qui sont les "gens" qu'on prend en compte et en bandoulière dans l'écriture ? Qu'est-ce qu'on regarde chez eux et dont on ne peut rien faire de bien nouveau ou utile, sinon passer les anecdotes et les détails à l'oubli avec un minimum de précipitation ? L'émotion de déflagration des découvertes n'est pas toujours ce  qu'on discerne d'emblée, mais des traces fabuleuses s'immiscent dans les rêves. C'est à cela qu'on reconnaît l'impact et la contagion des sentiments agréables. Beaucoup rêvé cet été, et de l'inracontable, du décousu de sensations argumentées, le plus souvent. Pléthore de maisons et de périples bizarres, de nombreux retours d'êtres chers et des amitiés perdues. Il n'y a rien d'étonnant car j'ai dormi dans le lit maternel, le changement de matelas devenu trop mou n'a pas changé la donne. J'ai rêvé à sa place et c'est un privilège. Une marée de désillusions et de mélancolie aussi, ont été accueillies avec un certain flegme. Puisque la vie nous échappe, laissons-la avec sa bride usée sur le cou et regardons l'horizon, sa ligne concrète de partage entre l'ici et l'ailleurs, le maintenant et le futur que cet Ami Martin Laquet capte si courageusement dans ses peintures figuratives sans présence humaine ou très rarement. Jean-Christophe Schmitt, autre compagnon de mémoire, s'y prend autrement, mais la démarche est proche. Il y a un va et vient entre le réel et la toile, une sorte de pacte de croyance provisoire qui contient toute la vie et la nature sans les nommer, peut-être pour ne pas avoir à leur rendre des comptes. Le regard de ces peintres est un insatiable questionnement sur la lumière  entichée de ses partenaires de couleur. Ils ne sont pas de la même génération, et pourtant ils surlignent et survolent les mêmes effets, entre impressionnisme et flottement du dessin ajustés à l'espace qu'ils s'octroient.Tous les deux écrivent. Leurs tableaux s'empilent comme des livres , on les touche avec des mains calmes, la peinture n'aime pas les gestes souillons, et pourtant la violence est présente, dans cet acharnement sur le point de convergence de la trace.  Peindre c'est écrire avec un pinceau, un couteau, un chiffon et parfois , le bout des doigts.  Ce  n'est guère le résultat qui compte, raté ou réussi selon des critères techniques empétrés de subjectivité,  il se détache immédiatement de son concepteur, et c'est bien le miracle, sa gratuité également !

J'ai envie d'écrire de temps en temps sur les gens qui créent, non pour  m'approprier leurs exploits, mais  pour parvenir à leur parler juste et pudique,  et pas uniquement à propos de leur travail. Bien sûr, j'ai le choix des miracles, et je ne peux guère les emporter chez moi. D'ailleurs, qu'en ferais-je , sinon des livres d'amitié, aussi éphémères que présomptueux. Mais oser dire qu'on aime telle ou telle démarche artistique, qu'elle nous "correspond" au sens épistolaire du verbe, me paraît envisageable.  Engranger le vivant même s'il passe par une toile peinte.  Ne pas le collectionner(pas les moyens) mais  en choisir des morceaux , les conserver en mémoire pour les revoir avec plaisir. Ecrire...

 


128550692_10225264723150871_5926715803370102775_o(c) Martin Laquet

 

Tonnelle_WEB(c) Jean-Christophe Schmitt 


ETAT DES YEUX | Août 2022 |La meilleure façon de ne pas avoir à reculer c'est de couler ?

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Petite réflexion du matin

Ne parlons pas à travers le prisme déformant de nos certitudes et surtout à tort dans la confusion et l'anxiété généralisées. Je voudrais revenir à quelque chose de libre, de simple et de tranquille dans l'écriture sans me préoccuper de forme ou d'allure au double sens du mot. En littérature c'est la séduction qui prévaut et la mode dictée par les médias et les prescriptions à la chaîne du commerce. Tout vieillit comme une pomme exposée à la chaleur et à l'humidité, il suffit de regarder des photos de vedettes, le suranné s'installe d'année en année, rien ne se conserve, sauf peut-être le sentiment ambivalent d'exister enfoui au fond d'un rêve, recouvert de pelures et de chiffons à la manière des hamsters. Il vaut peut-être mieux écrire seul.e  ce qu'on a  à dire, que mal accompagné.e et ne rien demander que de pouvoir le faire le plus longtemps possible sans amertume, ni illusion ancrée. Ne pas se croire insubmersible et laisser la place aux nouvelles façons de nager sans broncher, même si elles n'inventent que la facilité des techniques qui sont confrontées aux mêmes échéances, aux radicales obsolescences.

Rester au bord du bassin en souriant. Il faut que l'eau circule, même si ce n'est plus la même. Anonymisée, elle n'en paraît que plus éternelle, à condition de ne pas s'obstiner à l'analyser. Les miasmes de l'humanité ont tendance à forcer leur zèle et les chimistes de tout poil ne sont pas toujours bienveillants. La transparence de l'eau est un leurre, heureusement, il y a du savon.

 

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ETAT DES YEUX | JUIN 2022 | La vue baisse mais le regard boit la lumière

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Le Temps des Cerises est passé... le cerisier du jardin a été coupé... reste l'image d'une récolte passée... Année faste... Petites acides vaillantes disputées aux oiseaux... Non ! Tiens, elles sont plus grosses cette année là... Tu les vois là ?... Feuillage abondant et rafraîchissant... Au soleil on ne stagne pas... On implore vite l'ombre de l'arbre...Il faut regarder en haut à l'échelle des convoitises... Pour se faire des boucles d'oreilles... On garde son panier perché à une branche opportune... Crochet de fer artisanal... Sagesse des campagnes... Utilité des matières... Sens pratique économie des moyens... La générosité foncière de la Nature... Nos gaspillages anxieux... On va faire des bocaux cette année... Faire bouillir l'eau dans la lessiveuse... Les bocaux gavés de fruits au milieu de la vapeur...Aujourd'hui on congèle...  Il y a longtemps qu'on ne fait plus de bocaux pour l'hiver... Les cerises à l'eau de vie souvenir d'enfance... On les appelait les griottes ce n'étaient pas celles-ci. Retrouver l'arbre qui les fabriquaient ? Les Vergers familiaux sont devenus rares... En ville , les jardins sont collectifs et gérés localement... On n'a pas le temps de soigner les arbres à fruits... On les plante en nombre armée massive de fantassins... Dans les vallées près des fleuves...La loi de sélection naturelle a été déviée... Planter un noyau n'importe où ne fait plus de miracle... Les plus beaux cerisiers sont au Japon... Parce qu'on les aime davantage... Photos de pluie de pétales... Neige que racontent les Haïkus... Souvenir d'une statuette en plâtre peint , environ quatre-vingt centimètres de haut... Un petit voleur de cerises... Il était dans un grenier... sa tête coupée à proximité... Quelqu'un l'a recollée... Figurine nostalgique... Années 20...  Bribes d'images de plus en plus floutée dans la mémoire... La vue baisse mais le regard se déploie... Il boit la lumière... Dehors comme en dedans...


ETAT DES YEUX | JUIN 2022 | Les post-it et l'écoute...

 

PROLOGUE sans DIALOGUE

POST IT DANS UN MONDE DISTORSION FB

Ayant pris l'habitude, le plus souvent possible, d'écouter les vidéos publiées quotidiennement par l'écrivain-éditeur François BON, il m'a fallu trouver une méthode pour tamiser ses mots, comme on le ferait d'un fond de rivière ou de gravière  pour obtenir du sable un peu plus doux au contact. On dira, pour faire vite, car c'est le genre de la maison-gare pour speeder à Tiers-Livre, que mes notes de la semaine dernière, sur des post-its vert-pomme fluo, collés en paperolles les uns au dessous des autres  (j'attrape ce que j'ai sous la main...) seraient mes galets d'argile fragiles inégaux, devenus porteurs de sens et pourvoyeurs d'informations précieuses. Moyennant un abonnement mensuel, je bénéficie d'un accés niveau 3 et de la technologie moderne pour les conseils de  mise en voix sur le net à partir de la riche expérience du concepteur du site que je remercie !

J'en déduis presque, pardonnez-moi, un poème, ou une fausse liste à la PEREC pour démarrer cette drôle d'aventure sans filet.

 

AUSHA

ALEXA

Podcast ADDICT

choix de la plateforme

ANCHOR

SPOTIFY

PODCLOUD

THOMAN

micro NTG3   500 euros

Zoom F6

RØDE wireless

 " "     go 2

DA VINCI

VLOG

export Wave MP3

AXIOME

Du contenu !

épine à gratter

% intentionnalité

Dans un monde de distorsions

La question de l'intentionnalité...

Solidifier et faire des passerelles

Un Arbitraire

Une histoire de vie

Une nécessité

Exercice Hypnotique

Narcotique

les boules à malaxer

Zone trouble

Le proche et le lointain

qu'est-ce qu'on trouve (creuse) dans l'intérieur de la fatigue

Tester un rythme accéléré...

Un livre en accéléré en 40 jours PDF  FB

L'extériorité à soi-même qui permet la relation à l'écriture

On était sur du funambule

en Art il n'y a pas de hiérarchie

sa nuit est un plein jour

infrangible

liste 62 fois  laisser venir 5 -7 -10

Image + Texte

Qu'est ce que vous voyez ?

Prologue

Pour se connaître

Pas d'enjeu

Les choses familières

Les choses singulières

 

: ||| :

     

   petite  fissure   :::

IMAGE  

                    la tête en bas  ...   écrire tous les jours
                                                                               LÉGENDE
*
           Et maintenant                  débrouille-toi !

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | JUIN 2022 | Trop à lire Trop à dire finalement... La vie en dessous...

 

LE PARTAGE Mth Peyrin [c]

C'est un foisonnement qui peut devenir empoisonnement à la longue.  Les mots dérivent comme des bois flottés sur l'écran. Il suffit d'appuyer sur des touches de clavier ou de cliquer sur la petite bosse qu'on appelle souris, clic droit, clic gauche, pour faire apparaître et refouler le tsunami d'informations, de sollicitations, d'invitations au partage numérique... Tout le monde le dit, tout le monde le sait, le grouillement des formes verbales et sonores nous engloutit, nous plonge dans la fascination ( si bien décrit par Pascal QUIGNARD qui rappelle la racine grecque de fascinus  équivalent phallus, rien que çà !), la confusion et l'hébétement, le décervelage ( si bien décrit par Bernard NOËL dans la privation de sens)  la saturation et on continue quand même. On s'enferme corps et biens, bel et bien dans la bulle qui éclate en permanence, on s'enferre dans le faire, faire plus, faire mieux, en plus grand, en plus visible, en plus audible. On écarte les ailes du Désir pour survoler les autres et planer un petit moment en apesanteur, loin des déflagrations humaines. Les sonnailles du désordre s'assourdissent lorsqu'on peut prendre de la hauteur. Sur le sol les murs continuent à parler sous nos pas.

 

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Une petite fille crie dans la cour en bas... la cour d'une maison... c'est mercredi... ce pourrait être moi... avec ce visage dépité d'enfant qui ne comprend pas... qui  attend quelque chose qui ne vient pas, qui ne viendra pas.Elle prend sur elle. Elle verra plus tard. Elle ne crie plus. Où est-elle ? 

 

ANTHOLOGIE BOURRET

 

 


ETAT DE LA VOIX | Juin 2022| La voix intérieure est une fontaine capricieuse

 

 

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Sculpture Agnès BAILLON - Photo Mth PEYRIN à MANTHES ( Archive)

 

Avant d'avoir tant lu, je ne savais pas qu'elle existait "pour de vrai". Je croyais même que c'était une invention d'égoïste, de quelqu'un.e qui éprouvait le besoin de gonfler sa poitrine pour faire comme la grenouille  défiant le boeuf dans la fable célèbre de La Fontaine. Une voix singulière qui éclate au grand jour, sans signe avant-coureur, comme une bulle de chewing-gum rose qui se plaque ensuite sur le visage et fait fermer les yeux. Je n'ai jamais su faire des bulles avec les malabars, c'était un truc des frères, qui aimaient faire des exploits et du bruit. J'aimais jouer au calme et ne me sentais pas de taille à dominer la partie. Je ne savais pas bien tricher ni mentir. J'ai appris peu à peu sans trop de conviction. "Elle ne l'envoie pas dire !"J'aimais et redoutais cette expression qui  signalait le culot et l'insolence répréhensibles. "Arrête de la ramener", en était une autre, tenter de clouer le bec à l'autre oiseau dans la couvée était la routine dans l'enfance. Il fallait que jeunesse se tasse et laisser passer les cris dans la pagaille des familles. Entendre les voix extérieures, leurs clameurs, leurs rires crâneurs et l'extinction progressive de l'excitation collective  faisaient partie du quotidien. Il n'y a qu'à l'école , pendant les devoirs surveillés et l'étude que je savourais le silence. C'est à ce moment là seulement, que je l'entendais. Certains profs disaient pourtant "Forte personnalité" et souvent "Peut mieux faire"... Ma petite voix intérieure, comme un écho tremblotant à la pensée du moment... Mais il a fallu longtemps pour que je la relie à l'écriture et à la faveur de la méditation verbale, cette sorte de passerelle de soi à soi, qui permet de DIRE ce qui tient à corps et à coeur sans trop se dévoiler ni s'en incommoder. La petite voix intérieure n'est que le vecteur immatériel d'une "manière de présence au monde sans avoir l'air d'y toucher". C'est une voix écrite extorquée à l'oral. Se taire en écrivant est une chose qui me plaît. La petite voix est celle de l'enfance conservée.


ETAT DE LA VOIX | Juin 2022| Ecouter Bruno Podalydès et/ou Liliane Giraudon| en regardant (sans son) Marina Abramović et Ulay | Juin 2022

D'une voix à l'autre... D'un regard à l'autre...

D'un corps à l'autre...

Source : Maison de la Poésie  :

1|Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos « Un homme n’est pas tout à fait un homme, ni une femme tout à fait une femme. Les sexes ne sont pas des camps, ni des rives opposées. Les sexes passent l’un au travers de l’autre dans une nuit où les corps échappent aux attributs censés répartir les forces, les symboles, les fonctions ou les rôles. Dans La Nuit des rois, Shakespeare célèbre la nuit carnavalesque des grands retournements. Toutes les évidences tombent. Surgissent d’autres vérités dont l’éclat trouble les miroirs. Hantise des puritains : que tout se réunisse, se mêle, se confonde, s’inverse. » Denis Podalydès

2|Source Jean-Paul HIRCH : Liliane Giraudon Polyphonie Penthésilée - éditions P.O.L - où Liliane Giraudon tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre "Polyphonie Penthésilée" et où il est notamment question de poésie et de prose, de politique et de genre, de "Romances sans paroles" de Paul Verlaine et d’Arthur Rimbaud, du corps des femmes et d'écriture, de Nanni Balestrini et de téléphone, d'amazones et de cancer du sein, d'Anni Albers et d’Afghanistan, du Poème et de dessins, de Jean-Jacques Viton et de Henri Deluy, à l’occasion de la parution aux éditions P.O.L de "Polyphonie Penthésilée", à Paris le 18 novembre 2021 "elles guerroient les amazones dans leurs petites armures peintes"

        Source TdF Angèle PAOLI  : Polyphonie Penthésilée

3|Source MAC Lyon : En 1986, le Musée d’art contemporain de Lyon invite les pionniers de la performance que sont Marina Abramović et Frank Uwe Laysiepen, dit Ulay. C’est l’opportunité pour les deux artistes de montrer et achever le cycle de performances par lequel ils se font particulièrement remarquer et connaissent une reconnaissance internationale : Nightsea Crossing. 

 

        Source : AMELIE MAISON D'ART  galerie d'aujourd'hui

En 2010, Marina Abramović est au coeur d’une importante rétrospective que lui consacre le MoMa à New York. C’est l’occasion pour elle d’imaginer et de créer une nouvelle performance solitaire intitulée The Artist is present. Immobile, assise à une table et Marina Abramović invite le public à s'asseoir face à elle et à soutenir son regard. L’artiste reste assise 736 heures et 30 minutes, un exploit d’endurance physique et mentale. Voyant passer devant elle près de 750 000 personnes, elle demeure impassible tout au long de la performance, jusqu’à ce que son grand amour de jeunesse, Ulay, qu’elle n’a pas vu depuis plus de vingt ans, prenne place face à elle… En pleurs mais obligés de garder le silence, ils ne peuvent s’empêcher de se rapprocher pour se tenir les mains, mettant quelques instants la performance de côté. Un moment d’émotion intense, où l’imprévu de la vie prend le dessus sur la performance artistique. Peut-être l’un des instants les plus émouvants de l’histoire de l’art contemporain et conceptuel. Voici la vidéo, on vous laisse juger par vous-mêmes :

 


ETAT DE LA VOIX | Juin 2022 | Lire dehors un texte tout juste acheté en librairie | Voir si ça tient dans la voix | Audio N°1 les gens qui luttent de jean marc flahaut

texte de jean.marc flahaut 

sans oublier les dessins de fannie loget

 

 

LES GENS QUI LUTTENT jean marc  flahaut fannie loget


Exemplaire N° 1087 fait main le 24.01.21

Editions les Venterniers * collection "les gens"

 

ÉCOUTEZ VOIR !

cliquer sur le titre ci-dessous

pour ouvrir l'enregistrement

MP3 au téléphone

 

Les gens qui luttent Jean-Marc FLAHAUT Illustrations Fannie LOGET


  !


ETAT DES YEUX | Avril 2022 | Denise DESAUTELS, l'angle noir de la joie,une improbable rédemption

 

Pour mon Amie Angèle PAOLI et quelques autres

 

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Les poètes femmes accèdent au goutte à goutte aux collections prestigieuses de Poésie- Gallimard, elles se comptent sur les doigts de quelques mains, le retard est considérable. La sensibilité aux défis de la vie y gagne en simplicité, en courage ordinaire et en innovations cruciales dans l'énoncé.

Denise DESAUTELS que je viens de redécouvrir est l'une d'entre elles. Ce qui me frappe le plus consiste dans le fait que les mots de chaque poème semblent se superposer très exactement aux mots que j'ai envie d'utiliser lorsque j'écris. Quant aux thématiques et aux circonstances, c'est la même chose. Une sororité se révèle , elle est à la fois mystérieuse et évidente. "Ecrire dans un corps de femme" comme je le souligne ici, est une nécessité à une époque où l'indifférenciation cherche à se substituer au clivage de genre. A chaque génération la question se pose à nouveau, mais la condition sexuée engendre aujourd'hui avec #Me Too des effets prévalents dont se nourrissent les faits divers et les médias avides de révélations consommables. Rien ne se perd dans la contradiction.

La poésie est sans doute ce qui me rapproche le plus de l'intimité d'une conscience d'appartenance à une frange d'humanité. Je sais désormais que la poésie ne sauve pas le monde, n'assagit pas les pulsions récurrentes de prédation , elle est labile et infidèle, donne raison au dernier lu sans vérification ou le congédie sans sommation, au mieux elle soulage certaines consciences ensanglantées en légitimant le non passage à l'acte ou les endort si la force d'aimer mieux et de pardonner semble inatteignables. Tout est provisoire, tout est remis en question par chaque individu, entre isolement et instinct grégaire, mais le désir qui revient a besoin de s'incarner dans une vérité qui peine à se faire entendre. La mélancolie vient de là j'imagine... Et je sens qu'elle s'approfondit avec les années de vie et de lecture. L'ennui lui fait escorte, car il n'est pas anodin de supporter que les mêmes causes puissent avoir les mêmes effets et qu'on fasse semblant de redécouvrir que l'eau chaude reste liée au combustible auquel on la soumet. Tout nous ramène aux gestes de survie des premières créatures terrestres cérébralement mieux dotées, la force physique instaurant le distingo et la loi du plus fort, la ruse réinventant l'esquive.

 

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... écoutons Denise  DESAUTELS.

 

imaginons l'autoportrait

un rideau qu'on tire, translucide

pour atténuer - oh à peine

nos fraudes

de famille, d'état

nos petits assassinats aussi

machinalement

en croix, massés

sous une gaine où il fait chaud

 

en attendant, on fabrique du néant doux

 

un peu d'anthracite ou de blanc, s'il vous plaît

autour d'une improbable rédemption

 

*

à la fin on n'a plus peur

on les regarde de près

l'enfant endormi et

plusieurs étoiles malades accolées à la terre

 

sans bien comprendre pourquoi

absolument nécessaire

la souffrance flambe dans un fouillis de bras

 

nous avançons, manière Marina Abramović

le corps tout charbon, penché

son squelette posé sur son dos, son double

grandeur nature

fragile armature d'os

châle d'été, on dirait

 

*

 

Quand tout est froissé, que deviennent

l'ombre des phrases et leur surdité de guerre.

Où suis-je - temporairement même - dans cet

       espace chauve

Que faire après. En attendant.

 

C'est fou, la chose barbare, la bête

qui se profile ferme courant rampant

sa nuque vers quelque part, ses bras plombés

 

*

 

    L'utopie est nue. Détrônée. Plus rien ne remue

sous une brousse d'appels. Viens. Vois. Touche têtu

vacarme. L'inutile trou à nos poitrines. Un livre

entier pour espérer. Du noir doux dans les phrases. Des

gorges libres. Des pulsions pensantes. Une marée

d'oeuvres de langues qu'on ne ravale plus. Et le vio-

let de l'encre coude ou poing se lève. Dit coeur absolu

dit j'aime. De survivances diverses dit pense vibre

vertige infini.

    Bibliothèque n'est pas obus n'est pas mausolée

    Devant  derrière des frontières inaudibles. Des

nous autrui humanité irradient rebelles. Et le violet

répète pense vibre vertige infini. Et son poids de

matins aux fenêtres.

 

Nous mentons presque plus.

Nous ne nous mentons presque plus.

 

 

 

 

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | Mars 2022 | Nicolas GREGOIRE, désastre ravalé, ravaler désastre

Désastre ravalé ravaler désastre Nicolas GREGOIRE

 

À propos  de   Nicolas GRÉGOIRE, désastre ravalé   ravaler désastre,

Dessins de Pauline EMOND

Écrit(peind)re   AENCRAGES & CO

Préface Marc DUGARDIN

 

******

 

Filiation au forceps

endurance filiale

Ce qu’il leur en coûte

duo infernal

Ce qui tient malgré tout

l’image surgit glauque

hyperréaliste

à broyer dans l’oubli

un défaut  initial de tendresse

la douceur est partie ailleurs

dans la reconstruction

La soif en héritage

Ses ravins de folie

La soif terrible d’amour

son linceul souillé

 d’intempérance

Ne pouvait être que

bouleversant ce livre

ce bourbier de mémoire

la fin d’un père

la renaissance d’un fils

tragédies intriquées

misère de la soif dépassée

miroir du refus virulent

arrimage compulsif

ancré dans la violence

Enfances barrées

suspectées de

non-être

non-reçu

non-voulu

une ou plusieurs vies

expulsées salement

annoncées à la gueule

Vis et Meurs Seul démerde -toi

Tu n’as pas de quoi

insister sinon du regard

incrédule poings crispés

Noyade immédiate petit chat

Condamnation muette

Sidération glaciale

Une fin de non concevoir

Fais avec çà  vieux fils !

Répète si tu peux

la déchéance

la dégringolade

la mascarade

et tutti quanti

Rebois ton propre sang

ou répands-le

sur les décombres

Ne construis rien sur ce rien

qui te nargue

Fuis ou affronte  SEUL

ou presque      ton destin

Les mots se relisent  ici

à l’envers de l’aval

à reculons vers l’amont

retombent aussitôt

de l’autre côté du crassier

dévaler dévaluer

vandales circonstances

Le père finira par

pleurer  ultime désastre

après avoir vociféré

Comment lui pardonner

d’avoir tout bouzillé

Le poème est rescapé

dur comme un silence estropié

que la mort ignore.

Présence filiale pour témoigner

Courage résolu et révolu

Amour peut-être

 

M.T PEYRIN

 


ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | Les marelles englouties de Marie-Ange

 

 

Lyon le Jeudi  20 Janvier 2022

 

A qui dire mes songes au goût de sel ?

Marie.Ange Sebasti, Comme un chant vers le seuil

 

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Très chère Marie-Ange,

Tu allais fêter ton anniversaire en famille, ta 78 ème bougie... je ne sais trop comment, tu ne mangeais plus ou presque ...  Tu vivais d'amour fort et de l 'eau au robinet ou peut - être en bouteille, ça ne change pas grand chose, mais ce devait être ennuyeux et en très petite quantité. J'ai tout imaginé concernant tes problèmes. Pas besoin d'un dessin ou d'un argumentaire. J'ai préféré de loin ta version subtilement rageuse, courageuse accomplie. Car tu les décrivais tous  un par un,  ces phénomènes hostiles, ces envahisseurs éhontés, extrêmement contrariants, tu les mentionnais avec agacement, comme on peut évoquer un paysage moche et menaçant où l'on se sent parfaitement étranger et sans sécurité. Faible de fait, tu souriais quand même, altière passagère du moment, au beau milieu des infirmières, et de tout leur fourbi effarant.

Tu m'as raconté ton bon Guillaume, ton ancien étudiant, l'Oasis de ton enfer sur terre avec vos ultimes traductions communes volées à  la détresse .

J'ai vu que tu parlais  avec  tendresse de tes poèmes en panade, tu regardais ton carnet bien présent... J'y mets tout, disais-tu,  mais je n'arrive plus à retranscrire. Je suis trop épuisée...  Puis-je t'aider ?

Tu aimais les visites, te faisais un devoir de les honorer sans toujours être en état de le faire, elles étaient filtrées par ton doux cerbère-aidant-de-camp, fidèle chevalier servant si riche de ses mots murmurés, de ses gestes incrustés dans une attention permanente. Un homme tendre.

 Tenir bon, tenir salon était le seul moyen  de répéter ta question inaugurale, à certains arrivants  : Est-ce que tu me reconnais ? Ta voix  alors se faisait plus anxieuse, légèrement implorante. Tu attendais la réponse immédiate, comme pour soulever, sans aucun délai, la moindre parcelle d'insincérité.

Soutenir ton regard n'était pas simple, et nous avions le souci  de ne pas en rajouter ou en larmoyer.

J'ai voulu vivre face à toi, même fugacement et tardivement, les sensations de qui se penche d'amble et sans trembler, au bord du précipice.

Je tenais ton regard comme on tient la main d'un enfant pour ne pas le laisser faire un faux pas intempestif. Je sentais bêtement que nous en étions capables, qu'ensemble nous redevenions à la fois téméraires et lucides. Je n'ai donc rien esquivé, d'autres ont fait de même, longuement, je le sais, autour de toi.  Je n'ai pas menti, oui, d'autres ont fait de même, parmi tes proches et tes ami.e.s. Je ne le regrette pas.

Nous nous sommes tant aimées en Poémie Amie... Ce beau pays des Rencontres langagières et amicales.

J'ai commenté, questionnné ta maladie, j'ai affronté les mots présents dans ta bouche et dans ta voix intacte. Six mois d'épreuve à compiler, pour toi, sans aucun répit, sans aucun espoir de guérison. J'ai porté secrètement ta douleur. Ta souffrance physique et morale, ta fatigue monumentale qui ont concassé ton corps, lançant partout des flèches vives et des poisons violents.

Mais tu étais chez toi, dans tes murs familiers, fermement arrimée à ta vie habituelle, à ton amour vivant, sans faille ni  la  moindre ébréchure.

Tu as lutté au mieux, dans ce cocon ancien, tissé par un très long, très beau, compagnonnage.

A peine quelques jours de séparation, pour vous deux, deux êtres fusionnels, s'il en est. Vous avez résisté ensemble jusqu'au bout de la catastrophe. A bout de force, tu as soudain lâché la rampe.  Presque rendormie déjà, en tout cas, les yeux clos par les secousses ambulancières, tu as quitté sans un mot de trop, ton bonheur. Fidèle à ta concision, secrète, discrète...

Attendant, depuis des mois, le soleil des grands départs, tu n'as pas cette fois  dévié ton cap,je l'ai vu  insulaire. 

Regarde, Marie-Ange,  dit ton père, réveille-toi, on voit la Corse !

Tu m'as reçue, cette dernière et belle fois, dans ce petit salon étroit en long, comme un couloir art-déco, près du secrétaire style empire de ta chère mère, bien en face des photos de famille que nous avons commentées : toi sur les genoux maternels, sur un balcon, rue Franklin,d'autres encore aussi belles, mais celle-ci la plus vibrante, la plus actuelle, la plus incomparable. Pièce unique, le début d'un amour vital, une retrouvaille qui m'a paru imminente... On ne l'a pas dit ainsi.

On aurait pu remonter le temps.

Tu as voulu me faire plaisir, et bonne figure mais tu n'as même pas touché au thé délicatement servi par ton compagnon de route et de déroute.  La rondelle de citron  silencieuse et penaude  est restée à plat, au fond de la tasse... On a dit qu'on se reverrait  pour parler poèmes, d'ailleurs on en a lu, les tiens, et en te quittant, on souriait, car  je t'ai traitée de... Françoise Sagan ! ... ce à cause de ton profil aquilin involontaire et de ta coiffure ressemblante... Bonsoir Tristesse... C'était prémonitoire... On a fait comme si de rien n'était. 

Aujourd'hui, je te pleure en sourdine, mon Amie.

Tu nous as laissé tes poèmes. Je t'aime,

Marie-Ange, moi aussi...

 

 

Marie-Th. Web Causeuse,

comme toi, comme toi...

à qui je parle tout bas...

en pensant à  quoi ?  

 

 

Prends donc

ton vol

au dessus des arbres

 

 

Va !  Viens  donc...

rejoindre

ton maquis 

 

tutoyer 

l' asphodèle

 

Prends appui

sur le sable

où les dunes 

s'activent

 

réécrivant

ton nom

en lettres

de baptême 

 

Tu peux dormir

tranquille

la mer les  bénira

 

Nous te suivrons

d'ici

sans oubli 

 

en confiance

 

scrutant 

ta trajectoire

 

sensationnelle

au levant

 

petit point

lumineux

aux doigts

exubérants

 

tenant pour

nous

profanes

indélébiles

et fiers

 

un poème

inédit 

 

venu

de loin

 

venu

de toi 

 

protégé

dans

sa main 

*

 


ETAT DES YEUX | PAR AMONTS ET PAR MOTS | écriture invasive

 

 

On peut toujours améliorer un texte

Le rendre plus fluide plus digeste 

 

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    Autrefois dans le village il y avait des fontaines en pierre surmontées de leur nom gravé sur des plaques aux allures d'épithaphes funéraires. C'était prémonitoire. En dessous les fontaines trônaient ,certaines aussi prétentieuses que des lavoirs, mais elles ont peu à peu disparu, remplacées par des robinets à poussoir , ou carrément enlevées pour économiser l'eau et rationner les touristes. Une laideronne fontaine intermittente dans le style "nous-aussi-en-Province-on-sait-ce-que-c'est-que-l'art-contemporain", a été érigée devant la grosse mairie de pierres de rivière. Elle a clivé l'électorat en-pour- ou-contre à la Dreyfus,  et fait encore aujourd'hui un bruit de splash sonore et miteux, qui donne l'impression qu'on va pouvoir boire enfin quelque chose de frais en s'asseyant sur le muret en pierre calcaire taillée au carré. C'est une illusion. Les cafés et restaurants d'en face et autour sont là pour promouvoir l'eau des alpes ou de vals, en petites bouteilles , l'eau du robinet est bourrée de carbonate de calcium et de bactéries escherichia coli en goguette. Ce n'est pourtant pas encore le manque d'eau, la rivière reste généreuse. Plutôt l'absence de moyens techniques pour  décontaminer ou déminéraliser  et ainsi éviter au passage d'aggraver les affections gastriques saisonnières lorsque la population est multipliée par dix , sans compter les petits malins qui lavent leur bagnole ou arrosent leur jardin avec jubilation. Guerre de l'eau, déjà dans les têtes et les tactiques d'approvisionnement. Dans la garrigue l'eau se cache par peur de l'insolation. Les stations d'épuration ont donc succédé aux drainages rudimentaires, à ciel ouvert ,des caniveaux, certains pestilentiels dans les contre-bas des murailles du bourg médiéval. Les puits sont restés secrètement enclos en des propriétés bien gardées et bien transmises. Le protestantisme jouxtant le catholicisme avec des manières à couteaux tirés. Les puits communs à servitude ont été déclarés insalubres et dertains bouchés. Comme pour la nourriture locale tout a dû passer par les fourches caudines de l'administration et de ses réglementations. Pour s'éclabousser  et ripailler heureux il faut se cacher un peu. 

L'eau des mots, tiens ! Qu'est-ce que c'est ? C'est la matière emmagasinée ou engorgée d'une source mnésique interne, mais laborieusement apprise au contact des autres générations. L'eau est un bien commun qui se transmet, les mots aussi. L'eau des mots éclabousse également. C'est évident et dérangeant parfois. Ses états sont fluctuants en raison de ce qui la propulse, l'agite, la contient plus ou moins facilement. Une vasque d'eau sans mouvement s'envase très vite. Une phrase sans vitalité en fait de même. C'est la mémoire qui bastonne le vocabulaire, le remue, le soulève et lui réclame toujours plus de vigueur et d'efficacité. Avec les ordinateurs et leurs données partagées, la mémoire individuelle s'annexe une mémoire collective qui grossit à vue d'oeil . Les citernes débordent. Apprivoiser toutes les eaux de déverse, comment faire ? Comment dire ?

 

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ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | LE PORTAGE DU MONDE | Voix flottées 1

Aujourd'hui je suis arrivé à creuser un peu sans me dire que ne faisais au juste que déplacer et recouvrir ailleurs, sur une épaisseur plus grande.

Mais au fond, on arrive toujours à ce fouillis de racines en dessous qu'on ne démêle pas et qui pompe sans arrêt pour le secret plus enfoncé qu'on ne voit pas.

Il bat; on l'entend parfois vaguement, la tête collée au sol, très loin, les jours sans vent - ou quand on dort dans l'herbe.

Pour savoir, il faudrait pouvoir pourrir et revenir. Se mêler, s'infiltrer, et revenir. Autant dire qu'on rêve , là.

 

Antoine EMAZ,

Poème de la terre, Bartavelle, 1986, p. 28

                                     

 

 

 

 

 

C'est cette accumulation des récits de vie sur les réseaux sociaux qui rivalise avec les livres. Mais ce n'est pas délétère à mes yeux, j'apprends à prendre la main des autres  dans un registre immatériel qui s'ancre dans le réel et les prélévements que ça suppose pour montrer ce dont il s'agit. Poussière colorée d'un kaléidoscope géant, souvent en noir et blanc. Je ne recule pas encore devant ces crêtes d'océan engloutissant, je reste à distance , une bande de sable suffisante pour voir ce qui se passe de loin, participer a minima au drame ou à l'instant de joie. L'écriture sert d'alibi pour un crime relatif que j'appelle provisoirement empathie ou fascination pour le vivant. Les paysages ne m'intéressent guère , comme si le fait qu'ils puissent contenir des "figures absentes" les rendaient coupables de non assistance à personnes en danger. J'en reparlerai certainement iCi ou un peu autour. Le temps est venu d'écrire en continu.

 

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Peintures de Winslow Homer  - Source web -

 


ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | "CE GESTE D'ENCADRER LA VIE" comme le fait cette jeune femme

 

Pour  Gracia BEJJANI

à la terre Libanaise... écartelée

 

On se retrouve un jour d'hiver, accroupi.e.s et côte à côte,en appui contre un mur, pour filmer ce qui reste, ou ce qui est représentatif d'une idée ancienne sur la joie de vivre et sur les raisons de continuer.  On fait l'inventaire fou de ce qui reste à voir et à penser puis, on s'en va plus loin avec un poids de moins, juste un petit caillou un peu plus discret dans sa chaussure. On l'a relégué dans un angle mort en gigotant avec l'orteil connecté. On reprend peu à peu ses marques : on écrit ce qu'on a à écrire et on crée ce qu'on a à créer. On sourit et on rencontre la vie qui répare ses roues usées, brocante sans charme.

 

  


ETAT DES YEUX | HIVER 2021| A propos des cris du coeur...

 
La lettre ouverte d'un maître de cérémonie, depuis un  crématorium de la France profonde... qui est aussi notre fils... lequel parle d'un autre fils...   Douleur gigogne... à Danser à défaut d'hurler...
 

 
14 ans p##### de m#####...
Qu'un ado décide de mettre fin à ces jours à cause du harcèlement moral qu'il subit, ça me met dans un tel état de colère que j'inviterai toutes ces langues de vipères à venir une dernière fois se recueillir autour de son corps martyrisé par des mots, des réflexions et des regards.
De les laisser sans musique, sans réseaux sociaux, sans aucun soutien parental....juste avec la douleur et l'incompréhension de la famille du disparu en visu et en fond sonore.
Quelle est la "bonne" attitude à avoir en tant que maître de cérémonie ?
De l'empathie? Le sens de l'écoute devant une famille muette face à une collision frontale n'étant QUE la résultante d'un mal-être non dit?
Du calme et des gestes maîtrisés, alors que tout ton être tout entier ne demande qu'à quitter ces ambiances lourdes et pesantes?
De croiser les doigts pour que cela ne soit pas toi qui "te la colle" , cette fameuse cérémonie...et de refiler la patate chaude à un de tes collègues qui est plus aguerri que toi qu'en apparence?
C'est cette même lance qui nous transperce le cœur...quoi qu'il arrive...tant dans la salle devant les familles et les proches que dans les coulisses...on en parle entre nous pour évacuer mais j'éprouve également l'envie d'écrire et de dire.
Il y a une réelle différence entre le fait "d'être dans le mental" et de "porter une charge mentale" tout en étant à"charge d'âmes".
Quand on vit cela quotidiennement, que l'on danse avec une intention précise en rapport avec ce que l'on vit,
cela fait bien longtemps que l'on ne danse plus avec sa tête mais bien avec son cœur.
Mon cœur s'est allégé en écrivant....j'espère que son rythme touchera le vôtre.
 
 
IL CROIT QUE C'EST ABSURDE  ET  INJUSTE  IL LE RESSENT ET IL L'ECRIT
 

ETAT DES YEUX | 13 Juin 2021| Une bibliothèque numérique brûle | HOMMAGE | Yves THOMAS

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Hommage à l’Ami Yves THOMAS 

web-éditeur du Site Terres de Femmes

Notre tristesse est immense, Yves est parti trop tôt. Il était à bout de forces... ne trouvait plus son souffle... Les soignants Marseillais et sa famille ont accompagné ses dernières semaines d’angoisse et de souffrance. Il est parti triste mais paisible veillé et choyé par son épouse Angèle Paoli - Thomas.

Une maladie sournoise, s’est révélée... progressivement, implacablement, invalidante. Des années de courage ont été nécessaires pour affronter au quotidien les limitations physiques, surmontées d’une tête savante et parfaitement intacte. Yves a eu la volonté de donner du sens à sa vie au sein d’un couple solidaire et pittoresque. 54 ans de vie commune depuis les années lycée représentent un itinéraire aussi somptueux et dentelé que les côtes insulaires de l’Ile de Beauté. Trois enfants charmants : deux filles, un garçon sont nés de leur union et leur ont donné une descendance ravissante. La vie ordinaire direz-vous, mais pas que ... Yves a bâti leur bonheur avec détermination et une créativité cérébrale incessante. Ses conversations étaient passionnantes et son humour vigoureux. Bien des anecdotes pourraient en attester.

Mon Amie Angèle l’a présenté un jour comme suit pour un blog de voisinage littéraire :

« Ancien directeur d’édition des encyclopédies Bordas et d’Encarta France (Microsoft), formé à la réflexion encyclopédique et aux outils qui lui sont propres, Yves a mis son savoir et son savoir-faire à l’élaboration complexe de Terres de femmes. Il a assuré jusqu’à récemment, la maintenance éditoriale de la revue : vérification des liens, internes/liens-corrélats externes ; actualisation des anciennes notes et de leur apparat critique, mise à jour des nombreux index, sous-index, répertoires, bibliographies »  C’est également lui qui a assuré la préparation de copie (notamment typographique) et l’encodage des textes et leur mise en ligne sur Terres de Femmes.

S’adjoignant les compétences d’un ami photographe Corse Guidu Antonietti di Cinarca à partir d’une charte graphique et typographique élaborée au moment de la conception de la revue. Terres de femmes nécessite entre 6 et 8 heures de travail quotidien par personne. Cette entreprise, ne bénéficie ni de subventions ni de sponsors [...].

Pour moi et mon compagnon, il était ...

Homme brillant, érudit et courtois, qui a su s’effacer pour laisser place à l’admiration qu’il avait pour le talent littéraire de sa compagne, mon Amie, Angèle PAOLI. Dans l’ombre et au fil de sa bienveillance, il l’a encouragée et propulsée vers le métier d’écriture, qu’elle a pu déployer pleinement après une carrière complète d’enseignante à Amiens.

Tous deux retraités se sont  installés en Haute-Corse dans la maison ancestrale d’Angèle,

Terres de Femmes et la Corse sont en deuil et attendent la cérémonie religieuse d’adieu au seuil du tombeau familial qui adoptera Yves le continental d’origine bretonne tombé amoureux d’une fille aux cheveux noirs.

Salut Yves, t’avoir connu est une chance. J’aurais aimé en savoir plus mais la vie ne rassemble pas toujours ceux et celles qui ont pourtant des choses à se dire. Je me souviendrai de tes regards, de tes silences et de cette élégance d’homme du monde qui te mettait à l’aise avec n’importe qui. Homme d’accueil, homme d’exigence et de labeur, mélomane, lecteur d’exception et homme de goût pour les objets d’art qui te faisaient devenir intarissable sur leur histoire et leur provenance... ta fierté de vivre et de lire dans un moulin corse...

Salut Yves ! Tu marches déjà au-dessus des nuages sans canne et sans crainte... Je t’embrasse en riant. Mais ta mort est un scandale inutile... l'été aurait dû être vivant ... 

 

Marie-Thé & René derrière mes épaules

( Nous aussi , un couple lycéen )

 


ETAT DES YEUX | Mai 2021| L'écriture au présent

 

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" Quelqu'un qui n'est pas moi attend de moi un geste silencieux..."
" Dire n'est pas un geste suffisant pour toucher le fond... "
" Maintenant la main cherche à tâtons une page habitable..."
" Déjà plus est aussi redoutable que pas encore..."
 
Bernard Noël à Laversine avec Mathias Pérez, Ce jardin d'encre
 
 
 
 
 
 
 
Se remettre devant l'assiette et attendre. L'écriture vient du quotidien. Pas la peine de ramener le tumulte là où l'on ne peut pas le contenir. Ne pas chercher ailleurs . Reprendre les mots un à un pour les incorporer. Les garder à l'abri le temps nécessaire. Écrire c'est respirer, c'est avaler et exhaler du sens. Rien n'est simple. Je regarde les petits morceaux de fraises dans leur jus, les feuilles de menthe ne sont pas là par hasard. Elles infusent. Il faut du temps pour installer une saveur, pour la reconnaître. Dans l'écriture c'est pareil.
 
Aujourd'hui je rassemble mes mots. La voix de Bernard Noël ramenée par Armand Dupuy résonne dans ma tête. Elle reprend doucement le fil de nos amitiés recousues. Du livre à la voix, des chemins foisonnants que j'ai le goût de parcourir à nouveau. Dimanche est un bon jour pour de telles explorations.

ETAT DES YEUX | Printemps 2021 | Samedi 17 Avril | En pensée à Mauregny-en-Haye avec Bernard NOËL et ses proches

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                                Entrée nouveau cimetière de Mauregny-en Haye

 

 

Prendre soin du corps du mort... le texte... écrivit Bernard Noël

 

[...] Il faut dire enfin que le vécu des morts — tant pis pour eux et tant pis pour nous, futurs morts — n’est plus rien. Conséquence : le texte est le corps du mort, un corps public auquel chacun peut tout faire à condition de n’en pas faire le représentant de rien. Laure est un texte, et chacun se qualifie selon sa façon de le lire... Il faut également en finir avec la propriété privée des moyens d’expression, chose qui, bien sûr, met en cause la famille, mais tout aussi gravement les lecteurs, car lire devrait être un acte qui libère le texte de la culture comme de la vie même dans ce qu’elle a d'étroit, de finissant...

 

Lire, c’est traverser la mort

grâce à cet emportement sacré qui,

pour Laure, était l’autre

nom de la communication…

                                                                                                                         

    

Bernard NOËL, Laure dédoublée

 

 

Le texte Laure dédoublée, de Bernard Noël, a été publié dans Les Nouvelles littéraires n° 2539 (01/07/1976) puis dans le n° 6 de la revue Cée (septembre 1978).

Source :  L’Atelier Bernard Noël / Nicole Martellotto

 


ETAT DES YEUX | Printemps 2021 | 13 Avril | Hommage aux plumes d’ange de Bernard NOËL (dans le dos)

 

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Depuis Laon et la montagne couronnée, on s’enfonce dans une anfractuosité du plateau calcaire. Soudain, la terre déplie le nuancier de l’automne. Bois et vallons dévalent jusque Mauregny-en-Haye. Le portail est clos. Mais à l’intérieur de cette cuisine de province, la poignée de main est chaleureuse. Sur le gaz, une cafetière italienne. Le café du matin est bon.     Hervé Leroy

 

 

Hommage aux plumes d’ange de l'Ami Bernard NOËL (dans le dos)

 

Très cher Bernard,

      Comment t’en vouloir, cela faisait plusieurs années que tu laissais la mort rôder autour de ton crâne, enquiquineuse que tu ne pouvais pas vraiment repousser, mais tu ne lui as concédé que l’extrême fatigue, et pour finir la perte d’usage des jambes et des yeux. Après tout, tu avais bien le droit de vieillir dans la proximité de tes poiriers, tu avais fait ton temps comme on dit pour évacuer le scandale d’une disparition inconcevable pour les survivants. Alors je ne t’en veux pas. Mais tes mots si essoufflés et valeureux à la presque fin sur tes mails, m’ont fait croire à tort à ton immortalité. Aujourd’hui, je tombe de haut.  Je ne suis pas la seule à t’avoir parlé, à t’avoir écrit et à avoir reçu « le don de temps » de tes paroles si bouleversantes, si nourrissantes pour féconder l’écriture intime. Tu ne croyais pas si bien dire en implorant la grâce (mais ne l’as-tu pas simplement attendue passivement les mains derrière le dos, tout au long de ta vie en écrivant ?) grâce mécréante que tu as superposée à la notion de présence et de silence étayé du regard soutenu, de l’égard entendu ? Te lire me consolera sans doute bien à distance de ta mort qui me dévaste à un point que tu ne peux plus imaginer.

      Notre amitié tardive dans ta vie a été insolite, non utilitaire et a puisé son souffle dans l’effort de maintenir une pensée affectueuse sans enjeux, sans illusions partageables et dont le tutoiement a probablement fait écho à ta propension à l’accueil et à l’authentique d’un échange sans manières. Amitié minuscule et non moins réelle, parmi d’autres.  Tu m’avais fait part de ton sentiment de solitude, de lassitude et de quelques déceptions tenaces que tu essayais maladroitement d’oublier. Nos échanges m’ont été précieux pendant plusieurs années, tu les as encouragés et je t’en remercie. Je savais qu’ils allaient cesser un jour. D’où mon désarroi ce soir.

      La maladie récidivante t’a aidé à baisser ta garde, à rompre avec ta solitude et à réclamer l’essentiel : la présence d’êtres véritablement tendres à tes côtés pour ne pas mourir dans trop d’effroi. Cette sagesse ultime de ta part m’a rassurée. Mais mon regret subsiste de n’avoir pu te réconcilier avec un ami cher à qui je viens d’apprendre ta disparition. Des ami.e.s , des admirateurs, des admiratrices, tu n’en manques pas , mais ceux ou celles qui ont vraiment compté pour toi se sont peut-être éloigné.e.s, la plupart décédé.e.s , et je sais que l’amitié a été ton cordon de survie, ton alibi de militance, ton meilleur appui dans les pires moments,  pour rester dans le lien social. Tu aimais les toiles de Géricault, n’avais pas peur d’en affronter la noirceur.  Tu as été un aventurier de la cause littéraire, un penseur exigeant et provocateur.      Derrière tout cela tu as été un homme tendre et vulnérable, écorché vif par l’injustice et la violence ataviques. Tout ce que tu as écrit témoigne de tes combats dans la langue dont tu as extrait des pensées puissantes et un style inimitable.

      Tu n’as pas cherché la notoriété et tu as eu la reconnaissance qui allait de pair avec ta timidité. Maintenant, tu es soulagé, tu n’as plus à faire la relance de tes meilleures idées en public, j’espère que d’autres s’en chargeront et que ton œuvre sera montrée au plus grand nombre, au théâtre comme en lectures. Elle est inépuisable pour qui sait lire la partition d’une existence profondément incarnée et solidaire.

      Tu ne liras pas ma lettre et je t‘en veux quand même un peu. Je sais que tu t’en serais un peu moqué très gentiment, que tu m’aurais parlé de tout autre chose que de toi, avec cette petite phrase introductive qui m’a souvent garanti de gamberger à ta suite : - ce qui m’intrigue c’est que ...   As-tu été un intrigant ou un intrigué ?  Je me pose la question en souriant, tu aurais pu être un beau clown (triste ?). Les exégètes habilités trancheront, en attendant je t’embrasse de tout cœur et je te souhaite un bon silence réparateur. On est là pour la mémoire vive autour de ta présence durable, sans effet funéraire intempestif. Tu peux planer parmi les anges en dispersant tes plumes, tranquille, invisible et léger comme évadé d’un tableau d’Opalka.

Marie-Th de LYON

 

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ETATS DES YEUX | HIVER | 30 Janvier 2021, L'écriture c'est le corps... Le corps c'est la voix...

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ  aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais  j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... 

Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux...

L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement. Aujourd'hui, j'ai envie de donner en exemple les écritures de femmes qui m'ont été signalées par cet enregistrement audio en provenance des réseaux sociaux d'internet. Je vous laisse écouter et faire votre propre voyage intérieur en les écoutant...  La voix écrit aussi...

 

 

 

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Muse...Fantasme... En poésie comme ailleurs les femmes ont longtemps été dépossédées de leurs images, de leurs corps et de son expression.

Dans ce documentaire polyphonique, sept poétesses d'aujourd'hui évoquent la place du corps dans leurs œuvres.

DIRE NOS CORPS voix de poétesses contemporaines

Avec

Guillonne Balaguer

Brigitte Baumié

Béatrice Brérot

Lili Frikh

Souad Labbize

Anna Serra

Fabienne Swiatly

 

Réalisé par Maïté Haddad & Maud Leroy,
Auprès de RadiOlive et Mehdi Ahoudig,
Dans le cadre de la résidence radio Si Loin Si proche


www.radiola.media/siloinsiproche

 

POUSSIN

Nicolas POUSSIN (1594-1665)  - Les Bergers d'Arcadie (première version, Chatsworth House (Derbyshire


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | HIVER | 28 Janvier 2021| L'intranquillité en sourdine...

 

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La Muraille de Chine , Christian BOBIN

 

Je pense qu'il faudrait tout remettre à plat sans chercher à bilanter le passé. De plus en plus connectée et de mieux en mieux dans ma tête qui regarde tout autour avec incrédulité. La télé nous dit que c'est le mal de l'époque, il est exacerbé par la pandémie, sa gestion au jour le jour... Les sociologues s'y mettent, les philosophes révisent leurs concepts, les psychologues font des plans de carrière numériques, les médecins font les pompiers, les petites mains des hôpitaux et les "accompagnant.e.s" héroïsé.e.s par intermittences, les agents de livraison, les commerçants hiérarchisés en strates d'essentialité, les gens ordinaires, les enfants, les jeunes, les moins jeunes, les anciens, s'adaptent au fatras des annonces fatalistes ou providentielles... Des bavardages à n'en plus finir, et un besoin criant de silence ou d'oubli. Je ne sais pas trop comment orienter mes pensées sans boussole fiable. Alors je décide, et c'est une chance, d'attendre et de pratiquer l'écriture et la lecture en privilégiant ce qui me fait encore vibrer et me donne l'envie de donner ce que je peux de compassion et de bienveillance. Je veux décolérer sans dédouaner qui que ce soit des erreurs commises . Les constats sont pénibles à empiler dans la mémoire, trop de casse, trop de mépris, mais il faut faire ce dernier effort de détachement pour déblayer tant soit peu la conscience et rester calme... le plus calme possible. Aimer aussi, pas d'autres objectifs à court terme. Régler mes micros et mes casques d'écoute, appuyer et cliquer sur les bons boutons pour rester en phase avec quelques un.e.s. Digérer mentalement l'absurdité suintante de la situation générale. Ecouter l'enfant grandir et commenter  la chute de sa première dent de lait.


ETAT DES YEUX | HIVER | Samedi 16 Janvier 2021 | Ne pas tomber dans la confidence mais raconter quand même...

 

CHATEAU DE FLECHERES NAISSANCE DE MA MERE

     A partir d'une photo précieuse, car unique , constituer une trame de support pour trier les souvenirs et les choses à exprimer. Il ne s'agit pas de soulagement, ni même de nostalgie. Plutôt de curiosité sur le procédé à fin d' explorer les capacités de mise en forme, sans doute de mise en récit, pour quelque chose qui a compté et qui compte encore. Mais je dois prendre garde à ne pas tomber dans la confidence...Pourquoi cette précaution ? Bien des gens qui se mettent à écrire, même tardivement, sont confrontés à cette question de la confidentialité, souvent confondue avec la discrétion et le respect de la vie privée des autres. Primum non nocere comme en médecine... Mais existe-t-il une méthode de soin qui ne soit ni invasive, ni asymétrique ? En littérature ( puisque c'est le but lointain visé...),il s'agit de "traiter" des "éléments" biographiques, de les manipuler à distance avec le risque de distorsion et d'interprétation erronée des données verbales et des traces matérielles. Il y a aussi un désir très fort d'anonymisation de l'histoire personnelle. Après la mort des parents et de la parentèle de même génération, on se retrouve en première ligne pour contruire une légende de vies plurielles sur plusieurs paliers de descendance et d'ascendance. Il n'y a que cela qui m'intéresse car c'est ce que je peux le mieux connaître malgré d'énormes lacunes qui distillent les questions sans réponse. Pour autant, c'est de soi dont on a envie de parler en priorité, de cette construction intérieure faite à partir de l'environnement changeant et du mouvement des mémoires imbriquées. Le récit biographique est un puzzle qui me fait penser aux fresques à demi effacées que les archéologues et les artistes peintres font renaître à partir d'éclats, de "restes"... Peut-on devenir l'archéologue de sa propre vie mentale et mnésique ? Pourquoi pas ? Mais ne pas s'y enfermer comme dans une nécropole... "Donnons nous du vivant " écrivait l'Ami Charles dans "La lumière des saisons". Je n'explique pas ici cette photo.Elle condense tellement de pensées et d'émotions que sa beauté visuelle me saute encore au visage. "Instants de vie" dirait Virginia WOOLF qui  peuvent être évoqués seulement dans un "vrai livre" à "faire éditer" dans une forme lisible et attachante pour une poignée de lectrices et de lecteurs en proximité ou en perspective. Chantier ouvert... où les larmes ne sont pas exclues. Ecrire en pleurant, cela m'est déjà arrivé, et comment avouer qu'il s'agir d'une expérience humaine rare et délicieuse. Sensation de décongestionner une peau gonflée de miasmes et de luttes à huit clos entre réminiscences...  


ETATS DES YEUX | Hiver 12 Janvier 2021 |Les cendres d'escampette ou la lettre à Marta

 

MARTA LA POUPEE

 

 

Pour mon fils d'Aveyron Greg et pour Marta fictive et vraie à la fois...

( Je ressors un vieux texte inachevé que je modifie un peu)

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Ma chère Marta,

On apprend ici la "drôle" de nouvelle... Ainsi tu ne nous attendais que pour nous dire Adieu et bien sûr on ne s'y attendait pas... C'était tellement saugrenu qu'on a cru à l'une de tes blagues. Mais il a bien fallu se rendre à l'évidence, tu avais pris la cendre d'escampette et nous on est restés à bader devant l'horizon vide sans imaginer une seconde qu'on était dans la réalité réelle. C'est incroyable de voir comment les gens apparaissent et disparaissent vite dans nos vies... On dirait des mirages en accéléré ! Heureusement qu'on a quelques images et quelques lettres un peu précieuses à se mettre sous la rétine , sinon, on porterait plainte  immédiatement au bureau des pleurs et récriminations. Déjà qu'ils sont saturés et qu'ils ont des horaires  de grincheux [on aimerait ne pas avoir à faire avec eux... c'est carrément la honte comme ils nous traitent en file indienne et il faut pas moufter ou ils appellent des vigiles du maintien du silence qui chaussent au moins du 59 ! ] il faut  donc se débrouiller  entre nous trois et trouver une combine pour ne pas t'en vouloir à toi. Dis, on peut utiliser ton cirage maintenant? Et ta raquette , tu la laisses à qui ? T'es pas très maline d'avoir rien écrit... Nous on va se chamailler, et Picasso va encore nous croquer un portrait d'enfants mal embouchés... La réputation ça n'a pas trop d'importance, mais si on veut faire rentrer des finances on est obligés de faire attention à ce qu'on dit. Picasso s'en fout parce qu'il se moque de tout le monde et aussi de lui, même quand une eau de gouttière lui dégringole sur la crinière. Mais il a raison de rire parce qu'autrement... ça plombe le moral de te perdre sans rémission. Là où tu es , tu pourrais penser à la poupée que tu as laissée sur notre balcon... On dirait qu'elle dort mais la voisine a chuchoté que c'était beaucoup grave... Elle est peut-être profondément amoureuse et elle s'est désertée, d'où ce teint de porcelaine pas très net net et ce Ouh ! la la... qu'elle nous fait avec son bras... On l'a retrouvée il y a quelques heures dans une rue du centre-ville, elle avait fugué et on se demande comment elle a fait pour arriver si vite dans cette lettre... Mais il ne faut poser que des réponses maintenant , parce que les questions s'emboîtent dans d'autres questions et ça fait des pyramides de questions... Et les pyramides de questions c'est plus encombrant que les pyramides de chocolats ferrero qui fondent très vite dans nos bouches... Si tu en veux pour Noël on ira à Tombouctou t'en chercher... Mais si tu ne manges plus de chocolat,  ça fait rien... On ira chercher des petits coeurs en pâte d'amande et du rapé de noix de coco pour les envelopper... On fera ça bien, tu verras !... On mangera pour toi...On t'aime bien même si tu es une abominaffreuse lâcheuse... On t'embrasse dans le vent...

Alizarine

 

 


ETAT DES YEUX | Hiver |11 Janvier 2021 | Apprendre à séparer l'espace et le temps...

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La discontinuité de l'écriture dans le journal témoigne à la fois d'une difficulté à dégager dans ma journée,ce précieux temps de mise en contact avec le clavier ( à la main se serait peut-être pire...) mais aussi de dissocier les espaces personnels et partagés. Pour ces derniers, passer de l'un à l'autre pourrait être plus commode si je m'astreignais et imposais à moi-même un rituel sacralisé avec un horaire, une concentration presque douloureuse comme celle des grands sportifs, une habitude non négociable avec l'entourage, un égoïsme fait de retrait et d'indifférence par rapport à tout ce qui gravite autour de moi, mais ce n'est même pas nécessaire à l'étape d'écriture où je me trouve. Je n'arriverai jamais à me discipliner à ce degré de formatage. Les mots me viennent de partout, surtout au réveil et bien davantage dès que j'ouvre un livre, écoute quelqu'un, répond à quelqu'un d'autre, ouvre l'ordinateur, lis des courriers ou des notes. Tout s'accélère sans que je m'en aperçoive vraiment. Je suis pourtant au calme, protégée, tranquille au sens physique de l'état.Ouvrir et fermer des portes, allumer et éteindre la lampe, changer de pièce, sortir dehors ( le moins possible et cela ne me manque pas pour l'instant), tous mes actes ne sont pas réglés comme du papier à musique, mais ils sont prévisibles et familiers. Cela m'amuse d'y penser, je pense aux vieilles personnes , et j'en deviens une jour après jour. Le corps s'encrasse en dedans, ses desseins ne sont pas visibles. Je ne sais pas s'il faut l'accepter sans râler ou verser dans la plainte. Je ne me sens pas le droit d'en vouloir à qui que ce soit , je ne suis pas immortelle, je le sais mais qu'écrire de bien avant la fin ? En aurai-je le temps ? Je retombe toujours sur ces mêmes pattes !


ETAT DES YEUX | Hiver | 7 Janvier 2021 | Quand on est raccord ou pas raccord...

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Doucement les robots ! Celui de l'enfant hier était un peu niais, s'imaginant qu'il pouvait mener à la baguette un môme de six ans pour le mettre aux ordres. Movi le robot Fischer Price a vite compris qui était son maître. Malgré son sourire d'émoticône, sa marge de décision a très vite été réduite à peanuts. Les dés étaient bipés. Cela me fait rire rien qu' en y repensant. Ce jouet était rangé dans un coin depuis plusieurs années et malgré son look aguichant, il n'avait pas eu le succès escompté. Je crois qu'il faisait un peu peur et sa voix était trop bizarre. On invente des robots pour remplacer les humains  et on les dote de capacités d'action qui étaient inimaginables pendant ma propre enfance.Si on m'avait dit à six ans que le fameux "Sésame ouvre-toi !  " n'avait même pas besoin d'être prononcé pour qu'une porte s'ouvre, je ne l'aurais pas cru. L'irruption d'objets téléguidés par des composants électroniques qui n'ont pas cessé d'envahir nos vies, on n'oserait guère la contester aujourd'hui, et surtout prétendre qu'on peut s'en passer dans la vie domestique. Sauf à se sevrer volontairement de tout ce qui rend moins pénible les tâches ingrates et répétitives, la communication facilitée, la mémorisation infinie d'événements de vie par la vidéo, la production de musique à volonté. Acheter un 45 tours, ou pire un électrophone relevait autrefois d'un luxe inoui.

J'aime rebrancher  le vieux magnétophone Philips à cassettes de notre père . Tous les appareils qu'il utilisait étaient sacrés, chasse gardée, on n'avait pas le droit d'y toucher. Il était mélomane et nous a fait écouter beaucoup de musique. Il nous a encouragé dans la pratique instrumentale. Lui-même était en nostalgie de sa mère qui jouait du piano. Il n'en avait pourtant pas de souvenir. Elle était  pour lui comme pour nous , un fantôme...  Il ne faut pas que je parle d'elle ici. Ce n'est pas le lieu. Mais je ne me censure pas. Je laisse les sujets arriver pour amorcer la pompe de l'écriture. J'ai la sensation physique d'aller puiser au fond d'une citerne.  Je vais faire une pirouette pour ne pas m'engager plus avant . Citer la quatrième de couverture du livre de Martin LAQUET pour faire transition avec autre chose: 

                               

                                je m'en souviens 

                                comme si c'était demain

                                

                                je lis par-dessus ton épaule

                                le vent tourne les pages

                                de nos corps

                               

                                et quand  tes yeux jonglent

                                avec les astres

                                je donne ma langue au chat

 

Je n'ai pas de chat mais je tourne volontiers les pages, mon corps  s'endort tout doucement. Je guette le signal de basse de vigilance.  En attendant je lis...

Qui couvres-tu en écrivant , écrit Michaël GLÜCK dans  La mémoire écorchée, Qui  couvres-tu en ne le faisant pas , ajoute-t-il, il compare les deux phrases à Une lame de rasoir dont les tranchants se tournent le dos. Cette formulation me semble juste et complète et je réfléchis à cette notion de "couvrir", couvrir c'est protéger, épargner, mais on n'est pas certains de savoir qui est visé. Dans un poème, on n'est pas obligés de répondre à la question.  J'aime la compagnie des gens qui écrivent, qui ont cette pratique intensive de l'écriture et dont l'expérience est déjà ancienne même s'ils ne sont pas devenus célèbres. Je m'identifie à leurs cheminements , à la façon dont ils justifient ce mouvement vers la page à écrire. J'aime en entendre parler, cela ne me lasse pas. J'aime aussi le résultat abouti qui devient un objet en partage plus ou moins attirant dans son écrin de hasard. Je sais qu'il y a trop de livres en tout cas trop de livres à lire, c'est pourquoi je fais confiance à mon intuition pour les choisir, et je me laisse parfois influencer. Cependant , lorsque je pénètre dans une librairie, je me dirige toujours vers les auteurs dont j'ai envie de suivre le travail. Mais comme Charles JULIET à une époque, je me laisse facilement happer par un titre, une belle fabrication à l'ancienne, des couleurs , la sobriété et l'originalité d'un grammage et de la typographie . J'aime qu'un livre soit beau, qu'il prenne une certaine place dans mes mains  avec un poids et un format qui me convient. J'aime glisser un livre dans une poche, un sac , pour qu'il m'accompagne. Cela rejoint la question des gros livres... Je crois que je ne les préfère pas. J'ai d'emblée l'impression qu'on cherche à me voler mon temps... C'est la raison pour laquelle je lis peu de romans. Je préfère les récits et les formes littéraires mixtes, c'est pourquoi qu'un écrivain comme Pascal QUIGNARD me convient. Il faudrait que je développe... 

 

Aujourd'hui j'ai installé le vieux bureau des enfants dans l'ancienne chambre du fils, et la belle lampe avec l'abat-jour bleu reçu à Noël, elle éclaire bien. Je serai devant la fenêtre.  Je verrai la grosse maison blanche qui sert de micro-crèche.En hiver, on entend rien, en été ce sont des cris de bébés et de jeunes enfants qui montent jusqu'à nous sans qu'on les aperçoive, et les chansons des puéricultrices. Je ne crois pas que cela me dérange si j' écris ici. Je pense à Marguerite Duras qui aimait observer les enfants de la colonie sur la plage.  Les enfants sont pour moi une source d'écriture. 

 

                                                           

 


ETAT DES YEUX | Hiver | 6 Janvier 2021 | Comment lit-on les gros livres ?

 

Rois & reines

 

 

Mercredi 6 Janvier 2021

 

Les Rois et les Reines font galette commune dans un Royaume pour de faux. 

Une réflexion de l'enfant, au début d'après-midi, m'est restée comme question de tête, jusqu'au soir... Me désignant  le gros volume de correspondance entre Albert CAMUS et Maria CASARES  coincé entre deux piles  de bouquins . -Je me demande comment on fait pour lire un si gros livre ? Ma réponse n'a pas été spontanée, l'étonnement du petit était trop grand et trop sincère pour bacler l'affaire. Pourtant... toujours l'humour remporte dans ces moments là : - le gros livre... Eh ben... On le pose sur la table, on s'assoit devant et on prend le temps qu'il faut ! L'enfant perplexe : - Ah ? Bien sûr !... On change de sujet, on retourne jouer et je ressasse après son départ que ma réplique est insuffisante et peut-être même un peu trop vantarde. Qui lit vraiment les gros livres et de cette manière aussi simple, s'y mettre tout bonnement  ? Comment lui avouer que ce livre-là m'est tombé des mains.  Non en raison de son poids, mais en raison de la déception qu'il m'a causé. Je peux l'écrire ici, CAMUS m'a déçue... Maria CASARES m'a émue... J'ai éprouvé le même désagrément en lisant les Les "lettres à Olga", écrites en prison entre 1979 et 1983 de Vaclav Havel à sa femme. Gênée de bout en bout par le ton du mari à sa femme, par ses exigences, ses rerproches... sa relation d'emprise...

Tout cela pour dire que je serai toujours du côté des femmes opprimées, à l'écoute de leurs frustrations ataviques en raison d'énormes décalages culturels entre leurs désirs et leurs réalités d'amantes, d'épouses, de compagnes. A la manière des fouilles archéologiques , et sans doute en raison des mouvements féministes, on ne cesse de rédécouvrir que derrière les grands hommes célèbres, il y a des femmes, des servantes, des petites mains, des muses utilitaires...  Et être reconnues comme femme de... est devenu à la mode. Le problème désormais est que le balancier risque de remettre dans l'ombre , bien des oeuvres et des mérites, et ce n'est pas vraiment la bonne voie à suivre. J'aimerais qu'on remette aujourd'hui les compteurs à zéro, est-ce possible ? Reconnaître que tout(e) seul(e) devant une oeuvre à réaliser, on n'est pas grand chose... C'est la raison pour laquelle je considérerai désormais avec beaucoup de curiosité et d'attention, toute publication qui permet de donner un point de vue de proximité de la part de proches selon leur voeu, en langage partageable, dans le respect total de l'intimité et sans esprit de rétorsion ou de dévaluation vacharde. Le commentaire d'une oeuvre par un éclairage contextuel de proximité n'est pas inintéressante pour mieux la comprendre et l'accueillir.  Dans l'après-coup au moins, (post mortem ?) cela permet de mieux saisir les nuances et les partis pris d'une énonciation. Il, elle écrit cela, à un moment donné et cela a un sens particulier, avons-nous les bonnes clés, autres qu'intellectuelles, pour lire les subtilités, l'arrière-panorama de toute phrase ? Ce qui m'intéresse finalement dans les livres, c'est l'intention et l'aboutissement , entre les deux, toutes mes questions font ventre...  Oui, j'aime bien savoir ce qu'on me fait avaler ... ma crédulité en dépend...  


ETAT DES YEUX | Hiver | 5 Janvier 2021 | Les résurgences du parloir miroir

 

Les pas dans la neigePas dans la neige au Clos Fleuri - photo modifiée Mth Peyrin

 

 

Ce pourrait être une lettre adressée à un.e  ami.e, pour donner des nouvelles…

Cher.e Toi ,

J’espère que tu vas bien et que ma lettre te fera passer un bon moment à mes côtés. On les écrit sur écran désormais, mais l'envoi postal fait encore partie de mes préférences. 

La semi-réclusion devenue volontaire a du bon. J’écris. Dans ce massif d’immeubles urbains d’origine ouvrière, mon compas visuel limite mon regard à un grand demi-cercle côté ouest depuis le balcon du 3°, deux petits côtés sud et nord, et un petit rectangle de verdure en aplomb des chambres, la nôtre, et celle du grand fils devenue mon antre à livres, une sorte de grenier perpétuel où je rêve de poser mes plages d’écriture et de lecture. C’est l’un des lieux d’écriture qu’il me faut garder. L’installation est en cours mais il me faut auparavant délocaliser des archives familiales précieuses devenues encombrantes. Je ne les veux pas encore loin de moi.

La résidence de co-propriétaires porte bien son nom : « Le Clos Fleuri ». Elle fait partie des anciennes propriétés arborées glanées par la pieuvre immobilière, sur le territoire des roseraies du 8° à la limite de Vénissieux. Le périphérique sud tout proche est devenu un fleuve bruyant qui a repris son flux de voitures incessant après les trop courtes interruptions de confinement. Show must go on… dans la fuite en avant… Toutes les questions de reprise économique sous l’injonction d’un capitalisme qui n’a rien compris de la leçon pandémique nous assaillent de toute part. La pauvreté devient criante à chaque coin de rue, les visages dehors s’évitent et chaque personne se déplace seule ou accompagnée de petits et bien moins d’anciens, comme si une menace pesait sans interruption dans l’air déjà pollué de la cité. Le grand air et l’espace sont loin, mais ils sont accessibles dans les horaires de couvre-feu. Il est bizarre de revivre ce dont nos parents et grands-parents nous ont parlé à longueur d’enfance. Deux ou trois guerres et l’ambiance de pénurie, de délation et d’arbitraire qu’ils ont surmonté en laissant derrière eux des morts tragiques… Aujourd’hui, je pense aux morts récents de la pandémie, parfaitement invisibles humainement, sauf pour les soignants, les familles et les fossoyeurs dans le brouhaha télévisuel que les statistiques lancinantes des médias peinent à incarner. Les enjeux contradictoires de générations semblent prendre une tournure d’affrontement attisée par les réflexes égoïstes de temps revenus sans foi ni loi. Le système D est prévalant et le raisonnement à courte vue avec ses cortèges de stigmatisations et de défis. Phénomènes éthologiques plus que politiques. Des masses humaines stigmatisées sont empêchées de circulation, reléguées, menacées çà et là… Ici, et pour l’instant, nous sommes à l’abri des plus gros désordres sociaux. Nous sommes des privilégiés sans être des nantis de haute volée. Nous payons nos impôts, nous aidons nos enfants impactés par leurs conditions de ressources aléatoires et restrictives. Nous prenons soin de notre seul petit-fils comme s’il était l'unique petit Prince malicieux et inquiet pour sa rose, car conscient de tout, sur une planète qui manque de jugeotte. L’enfance à portée de regard est la seule consolation de ce XXI ème siècle devenu confus et dangereux.

Dans mon miroir, le matin, je vois une sexagénaire sans maquillage, un peu usée, qui n’a pas envie de se plaindre mais qui ne cesse pas de se poser des questions. En lisant les autres, elle prend ses repères et elle affine sa vision de l’usage des mots. Beaucoup sont inutiles, mais chaque parole demande à être lestée d’humanité meilleure. Cela s’apprend tout au long d’une vie et on rate beaucoup dans ce domaine.

Lorsque je pense à toi, je me rends compte que je ne sais rien de ce que tu vis en ces moments un peu trop déroutants. Personne n’a vraiment envie de s’épancher sur son sort de peur des comparaisons et de la banalité des phrases qui pourraient en découler. Comment parler de cœur à cœur, d’esprit à esprit quand le corps à protéger prend toute la place et le champ d’intérêts. Te savoir pruden.t.e face à la diffusion du virus me rassure, mais dans la réalité , je sais que l’on prend toutes et tous des risques à chaque fois qu’on sort de nos tannières. Il y a toujours des sacrifié.e .s en première ligne, des mal payé .e.s qu’on  envoie comme des soldats, et qu’on appelle héros lorsque ça arrange nos principes éthiques vite balayés. Le cynisme fonctionnel des gouvernants appelé pragmatisme, et du fonctionnariat aux ordres, appelé citoyenneté ne laissent pas de surprendre en ces temps bouleversés.  J’aime bien ce mot « tannière », qui me fait penser aux grottes préhistoriques où nos ancêtres s’éclairaient à la torche de graisse enflammée et se réchauffaient au feu de camp, habillés de peaux de bêtes, ingénieux pour la survie. Autour des animaux féroces tout aussi traqués qu’eux et sans doute des durées de vie plus brèves que les nôtres…

Je pense que j’aurais fait partie des premières victimes si j’avais vécu à ces époques, dans une guerre aussi… Et c’est étrange de penser cela.  Cela me peine pour les gens qu’on laisse, mais je le sens intimement dans mon corps. Je ne suis pas pourtant quelqu’un qui ne se défend pas ou suicidaire, mais le plaisir de l’attaque me paraît superflu, la mort vient facilement, il ne faut pas la prier très longtemps. En attendant, je profite lentement du sursis. La vie est généreuse lorsqu’on est encore du bon côté. Comment aider les autres ?

C’est bizarre de dériver ainsi dans l’écriture. C’est comme si je parlais à moi-même en t’écrivant, et c’est sans doute le cas. Est-ce vraiment utile ?

Toi, seul.e pourrait me le dire si tu le peux franchement.  Que tu ne me répondes pas est aussi possible, je ne t’en voudrais pas.  Je pense encore  à la fabuleuse écriture de Bernard Noël. Je viens de retrouver un livre d’artiste illustré par Jean-Gilles Badaire avec des mots qui disent exactement ce que je ressens, à condition de m’éloigner de la réalité. Ce sont des poèmes qui s’adressent à trois prénoms (ces personnes existent donc !) Le titre est déjà une offrande : Présent de papier, c’est édité chez le grand Jacques Brémond , «  Achevé d’imprimer entre froids de l’hiver et bruissements de l’été sur les presses typographiques de l’atelier de Montfrin de 2009 à 2010 » . Pour finir ma lettre , je te recopie celui qu’il dédie à mohammed.

 

bienvenue au silence

où s’avive le souffle qui vient

habiter la demeure mentale

amitié pensive puis la mémoire

mâche un peu de temps puis fait

mouvement de langue et c’est

encore une fois vers le poème

dis-moi quelle figure y prend l’air

 

bruit de syllabes ou présence

en train de changer d’alphabet

nous aimons le pays du Livre

notre vie glissée entre les pages

il y a tout l’inconnu qui cherche

sous le cœur comment se prendre aux lettres

 

ou prémonition active à travers l’attente

une vision travaille en tête

matière d’unité qui

active en nous l’urgence d’être

mais qu’est-ce que la vie ordinaire quand on songe

aux différences dont la parsèment les vocabulaires

 

jouer de l’étranger pour changer la vue

oublier l’enceinte de poussière

une main passe derrière les yeux

raclant la patine des habitudes

nous voici tout à coup ensemble

au désert et l’émotion dresse là-bas

l’horizon d’une langue unique

 

de quelle substance avons-nous le partage

en cet instant où se ferme la bouche

 

le rythme du regard fait danser

autour de nous l’invisible

 

matière qui se matérialise

et ce n’est pas du chant mais

toute une nudité interne soudain

advenue à la pensée que le Néant

primordial nous invite à donner un

habit sublime au dérisoire

on va dans le désert pour voir

reculer à chaque pas l’infini

encore une réalité illusoire

 

les décombres de l’âme dis-tu

et quelque chose d’obscur refroidit les yeux

des sanctuaires de sable

ouvrent leurs portes à l’éphémère

nous revoilà devant l’absence

 

dès que le doute dévore la langue

une limite encercle la vue

 

vapeurs menaces chutes désastre

il n’y a plus que la solitude

des mots passent en perdant leurs lettres

et l’illisible nous crible de sa pluie

 

faible rempart l’écriture

l’obstinée résistance du sens

entre disparition et dissidence

un mystère d’inanité sonore

vivifie l’espace où la pensée

était au bord de sa perte

 

et tout repart une fois de plus

notre vitalité elle seule peut-être

tu fais je fais nous faisons

revenir des ombres sur la page

en traçant là des lignes

 

de l’illusion acceptée s’élève

encore l’énergie verbale

sous les signes respire l’autre dimension

 

futur et avenir ne sont pas semblables

un grouillement ici une gravitation par là

nous passons du pensable à son contraire

enracine ton visage existe et mords

répète en nous la bouche obscure

aime ajoute une autre

il n’y a pas de demi mesure dès qu’on saisit

la plume et qu’elle remue tout en bas

l’antique décharge où sont

entassées les images l’écriture

s’en va manger dans ce chaos

 

les mots dis-tu sont des sacs où le temps

empile du  je  du  il  parfois du  nous

leur ouverture fais déborder le tu

il dormait sous les cendres de l’identité

vidé aussitôt du silence tacite le voilà

réduit à jouer le rôle de l’Autre

enveloppé de quelques lambeaux d’être

 

 

dans le corps ça crée de l’espace

et des points d’attache pour l’infinitif

 

les organes savent ce qu’ils doivent à la conjugaison

 

au jour le jour il faut inventer un

maintenant qui défie la distance

oser l’écoute de la sonorité pure car

une forme d’air suffit à faire

résonner le fil de l’amitié

 

 

 

Tu vois, mon Ami.e, je pourrais me contenter de recopier des poèmes comme celui-ci pour parler de ma vie, cela suffirait peut-être. La narration anecdotique n’est qu’une façon de contextualiser le lieu d’ancrage de ma pratique de lectrice.  Les poèmes sont vivants lorsque je les découvre ou redécouvre dans la coquille élégante des livres publiés, je les aime aussi dans la voix réelle des gens qui les offrent, surtout parmi  les contemporains et les passeurs qui la partagent sans chercher à la monnayer comme une denrée de consommation . Certes il faut payer l’impression des livres, mais je n’ai jamais cru que la poésie était une exclusivité et un métier. Elle appartient à tout le monde, à tout moment, en toute langue, elle doit circuler sans taxe, ni douane, elle est le bien commun essentiel en provenance de singularités assumées. Elle est le lien entre les époques et les êtres ouverts et vibrants. Je suis l’amie des enfants, des poètes et des papillons ( et plus récemment , des escargots ! ). Range-toi dans la catégorie qui te ressemble le mieux ( tu peux cocher toutes les cases en même temps !).

Je t’embrasse doucement.

Mth


TEXTES SENTINELLES | Sylvie FABRE, Déconfinement de nos voix ©

Les porteuses d'eau Hervé Vernhes

Peinture d'Hervé VERNHES - Collection particulière

 

Déconfinement de nos voix

                                                                 

À ma fille et aux jeunes femmes poètes d’aujourd’hui     

                 

       Le temps est à la réclusion solitaire et chacun, même s’il la vit à sa manière, se tourne à un moment ou à un autre vers de brûlants compagnons, les mots, pour leur demander leur feu en secours. Ces invisibles visibles permettent en effet de se jouer des clôtures. Ils traversent les écrans, animent la matière des livres et habillent de présences la conversation – proche ou distante. Leur force, même entravée, a un poids ou une légèreté dans nos voix qui intensifie nos silences ou irrigue nos échanges. Mais si nous prenons tous la parole pour remémorer la vie au passé, pour commenter l’incertain présent ou  imaginer le futur, celle-ci nous est néanmoins accordée selon notre sexe et notre place dans la société. A l’heure de cette pandémie, hommes ou femmes nous analysons l’évènement, nous exprimons nos opinions ou, comme à l’époque de Boccace, nous racontons des histoires – et pas seulement grivoises - glanées au fil de nos expériences et selon nos imaginaires. Comme femme et poète, il me semble pourtant que persiste encore l’inégalité dans la puissance et la réception de nos voix.

       Après un énième échange de groupe sur Skype où la voix des hommes dominait, je suis revenue à la constatation de  l’enfance : temps passé, âge mûr et bien mûr, n’ont rien changé. Ainsi j’ai vécu et je vis encore une vie où la voix masculine fait autorité.  Cet apanage des mâles persiste à degrés divers dans ma famille et dans la société entière. Il semble qu’il y ait une certaine façon d’être au monde pour une femme, qu’elle soit ignorante ou cultivée, résignée ou en lutte, ménagère et/ou écrivaine. Quand elle agit, elle doit en faire un peu plus, quand elle parle, elle doit en dire un peu moins, il y a toujours « quelque chose de pourri dans le royaume …». Peut-être pour quelques-uns  le mieux serait-il qu’elle se taise, quant aux autres ils ne s’en apercevraient pas. Ainsi malgré l’accès que j’ai pu avoir aux études, malgré des années de professorat et une œuvre de poète, j’ai souvent senti n’avoir pas vraiment droit à la parole et encore moins à l’erreur, j’en ai souffert et j’ai eu peur. Comment en serait-il autrement ? Sans doute, les femmes féministes de ma génération ont encore trop admiré ou haï ceux qui établissaient les codes et distribuaient la parole : il y a une hiérarchie dans la vie, me répétait mon père qui, pour l’imposer, s’y connaissait.  Combien de repas de famille ou entre amis ai-je passé, à écouter les hommes discuter des choses importantes, travail argent et politique, ou bien littérature, art et philosophie, pendant que les femmes servaient à table et acquiesçaient aux opinions de celui qui ne pensait jamais à  leur demander les leurs. D’ailleurs dans ma jeunesse on leur conseillait assez vite d’aller à côté avec les enfants pour « papoter », plusieurs étant excédés d’être interrompus  «  pour rien » dans leur conversation. La plupart se pliait à l’injonction et il n’y avait guère qu’une cousine plus cultivée pour protester. On raillait en cœur l’intellectuelle et on plaignait son mari qui devait aider au ménage. En faculté, même après mai 68, les étudiants « tenaient le crachoir » militant, et pendant les cours les professeurs les laissaient parler. Les filles, mots confinés,  faisaient les petites mains pour le café ou les banderoles et tremblaient dans les amphis lors des exposés. On leur décernait quelques remarques ironiques ou étonnées sur leur prestation puis, en passant, on les félicitait aussi de leur beau sourire. Comme moi, mes amies ont craint de ne pas réussir. La menace de devoir « arrêter » a hanté mes années de lycée. Après avoir réussi les IPES et signé le contrat de dix ans, j’étais triste d’une liberté déjà entamée mais soulagée : le pire, vécu par ma mère, était évité. 

     Plus tard j’ai connu les soirées d’intellectuels où les hommes exposaient leurs idées, parlaient de leurs œuvres, débattaient de littérature, sans que les jeunes femmes présentes ne puissent intervenir. Au mieux leur temps de parole était compté. Nous étions, comme nos mères, vouées à l’écoute et dévouées aux amants, amis ou frères. Et même si nous étudions lisions et pensions aussi bien qu’eux, ils étaient sans crainte. Comment aurions-nous pu avoir leur confiance et prendre leur place ? Libérer ma voix en ouvrant la voie de l’écriture ne fut pas une mince affaire.  Ma poésie, je me souviens, on l’a notée comme mes copies et certains ne l’ont jamais reconnue.  Les grands écrivains étaient à une majorité écrasante des hommes et les jeunes hommes en apprentissage étaient avec eux nos « maîtres ». Comme Emily Dickinson, un siècle après, j’avais tendance à le croire. Mais je me souviens de nos rires moqueurs qui  sous-tendaient la révolte quand avec une amie nous avions découvert avoir été conviées à la rencontre  du « grand écrivain » venu de Lyon pour « faire les potiches » et servir le thé. Tout l’après-midi il ne s’est adressé qu’à nos compagnons. Aucun d’eux n’en fut choqué et nous avions amèrement regretté de ne pas avoir imposé notre présence. J’avais 25 ans, les revues étaient la chasse gardée des hommes et je dus attendre de découvrir Sorcières pour avoir la chance d’être publiée. Celle-ci, créée par Xavière Gautier, voulait faire entendre la parole confinée, la création étouffée des femmes. Pour elles publier de la poésie dans les années soixante-dix était une gageure, elle l’est demeurée longtemps. Les catalogues des éditeurs en témoignent par la nomination. Encore maintenant, et malgré tant d’écrivaines qui ont fait leurs preuves, les grandes anthologies poétiques et les collections prestigieuses comportent un nombre dérisoire de femmes. Et je me rappelle cet  éditeur courtisé, s’exclamant au Marché de la poésie devant un parterre de poètes dont j’étais, qu’il n’existait pas de « vraies poétesses » en France. Aucun poète présent ne l’a contredit. Seules deux ou trois femmes ont protesté en  murmurant quelques « noms » incontestables. Le sentiment d’infériorité, la muflerie sont intériorisés depuis si longtemps, notre aliénation aussi. Des lectrices ne m’ont-elles pas félicitée un jour pour mon écriture métaphysique et à portée universelle, «  rare chez les femmes dont la poésie est d’habitude si mièvre et si étroite ! ». D’ailleurs, j’en ai eu une illustration quand j’ai récemment osé publier mon deuxième recueil sur l’enfance. Même des initiés se sont étonnés : « Mais quelle idée de parler de grands-mères et de bébés dans vos poèmes, tu vas faire fuir tes lecteurs !».

    Si je tremble toujours un peu avant les lectures publiques, si je me tais encore beaucoup dans les soirées, si j’ai gardé tendance à ne pas me sentir « à la hauteur », j’ai conquis de haute lutte, grâce à mes livres et à ceux des autres, la liberté de ma parole : dans mes mots courent les mots de tant de femmes qui se sont tues. Dans le sang et le miel de ma poésie coulent les voix empêchées de ma mère, de mes grands-mères, et celles de la sororité, vécue ou rêvée, dont on parlait à Sorcières. Je n’ai désormais plus rien à craindre, la poésie m’accompagnera, aussi longtemps que la vieillesse qui arrive le permettra. J’ai écrit pour aller vers une lumière, réparer les blessures de l’enfance et de la jeunesse en tentant de briser quelques chaînes avec les mots. Déconfiner nos voix de femmes est un vœu perpétuel.

Sylvie FABRE

 

 

Vous pouvez retrouver des textes et des indications bibliographiques sur l'oeuvre de Sylvie Fabre

dans les pages numériques de Terres de Femmes 

 


ETAT DES YEUX | Hiver | 4 Janvier 2021 | Laisse écrire… Laisse d’écrire…

 

lundi 4 janvier 2021

MUSEE PICASSO ANTIBES

 

Tout commence à se jouer dans le rituel d’écriture journalière. Ici, se concentre une recherche de ligne de fond, une trace de faille tectonique entre plusieurs espaces : l’intime, le privé et le public. La sincérité est réelle, la vérité reste subjective et sans doute changeante. On ne pas tout dire et écrire, contrairement à ce que l’on peut imaginer en lisant les autres. C’est une question à la fois morale et technique. Le respect de la vie des autres et l’impossibilité de maîtriser totalement toutes les potentialités d’une langue maternelle sont les balises les plus voyantes. Le passage obligé sera la relecture et la censure. Je n’ai pas envie d’émietter le sens, bien au contraire, je cherche une condensation de mes pensées vives au contact de textes qui me percutent et me font bouger dans la langue écrite. Je parle tout haut ce que j’écris pour voir si ça tient facilement dans la voix, dans le souffle. J’essaie de réduire la longueur de mes phrases. Cela me coûte car j’aime cette glissade dans ce qui s’installe sur ma page, cette contagion sonore des mots qui dérapent vite en langage poétique. J’aime les mots qui ne restent pas à leur place, qui se rebellent, qui se déguisent pour déjouer la monotonie et la morosité des propos. Je me sens comme un jeune chien femelle encore un peu crédule, qui attend qu’on lui rallonge sa laisse pour bondir dans les flaques, le dehors est si tentant, mais il faut monter la garde devant la maison des mots , qui est aussi par expérience la maison des morts.  Quelque chose qui ressemble à un passage du Styx un peu trop récurrent. Mais je dois aimer cela finalement, cette proximité avec les revers de la vie, leurs lisières de fourberies et d’effondrements. J’aime rire toutefois, et l’enfance autour y pourvoit. Comme elle est intermittente ici, j’ai le temps d’arranger un peu les sépultures de mes émotions majeures. Écrire est une façon de poser des fleurs sur le sentiment d’exister, ce n’est pas une occupation anodine. Aujourd’hui, j’ai envie de relire Bernard Noël, qui s’éloigne de plus en plus de nous, mais en douceur, car il est bien entouré… mais ne peut plus lire… trop fatigué… Je le lis dans son Lieu des Signes, pages 56 et 57, Editions Unes, 1988 :

 

                            NOTE  II

Pouvoir passer

pouvoir dire à demain ou plus tard,

pouvoir dire hier ou autrefois,

c’était l’ombre des organes.

Maintenant, toutes les  faces du volume sont  visibles

à la fois.

Maintenant,

me voici en un monde où les paupières

ne servent qu’à dormir

 

|||

 

                   NOTE III

Milieu du milieu du milieu

à perte d’œil,

mais l’œil ne perd jamais :

un autre œil le relaie,

le regarde,

l’oblige à s’auto-regarder

et multiplie son pouvoir.

Œil dans l’œil

oeil corps d’yeux,

œil os du temps.

 

Bernard Noël est un auteur que je lis fidèlement, il est aussi important que Charles Juliet pour des raisons différentes et complémentaires. Leur conception de l’écriture diffère et j’aurais voulu qu’ils puissent parvenir à nous restituer quelque chose de leur rencontre. Cela fait partie des choses incroyablement difficiles à évoquer.


ETAT DES YEUX | Hiver | 3 Janvier 2021 | Ce que dedans concocte...

DEMAIN Demain commence aujourd'hui

Photos Marie-Th Peyrin (c)

Tu regardes autour de toi. Tu es cernée par les piles de livres, les boîtes à rangement de toutes les archives récentes de ta vie. Cela te plaît mais tu n'es pas satisfaite. Ici est trop petit pour accueillir  tes projets de livre. Tu rêves de ta grande maison d'Ardèche, celle où tu as grandi ... Mais tu n'es pas à plaindre, tu la retrouveras après la Pandémie. Tu n'es pas dans le besoin. Tu as du temps et tu es motivée. Tu n'as pas d'excuse sauf les jours où le corps grince et ahane, tu ne peux pas surmonter sans grogner l'enquiquinement des sensations douloureuses et éviter de les combattre à perte par salves de médicaments. Tu rêves d'une vitalité indolore qui te pousse vers ta table de travail, qui est elle aussi encombrée par l'ordinateur. Tu n'écris que sur écran depuis plusieurs années , sauf pour les notes consignées dans une multitude de carnets dépareillés. Ton graphisme y est épouvantable car tu n'as jamais le stylo adéquat pour dessiner de petites lettres appliquées. A chaque fois tu penses à l'école et à l'apprentissage, aux souvenirs de plume, d'ardoise et d'encrier en porcelaine qui te reviennent... intacts... Avec les procédés modernes tu pourrais faire davantage d'efforts , mais tu veux faire vite... Pourquoi ?  Tu fais souvent plusieurs choses à la fois  comme la plupart des femmes, penser aux autres fait partie de ton comportement, mais tu as moins de tâches à faire sauf en présence de l'enfant certains jours. Et tu vis avec un compagnon solidaire et serviable. Tu te souviens pourtant de tes journées de mère  et de mère au travail comme des prouesses quotidiennes et tu mesures la différence... Ta fatigue n'a plus les mêmes effets, tu dors beaucoup moins, tes rêves sont plus tourmentés et tu es contente d'être réveillée pour profiter de la lumière et de l'énergie  rechargée. Tes soucis sont de nature humaine la plupart du temps. Il y a toujours quelqu'un à épauler quelque part, une cause à défendre, une indignation à rajouter à ton fardeau mental. Tu n'as pas trouvé le chemin de l'indifférence, tu ne sais pas faire et tu ne le regrettes même pas, mais tu n'es pas libre de tes émotions, tu manques de recul sur certaines questions, tu le sais , mais ça ne suffit pas à alléger ta charge mentale. Les techniques de méditation t'aident un peu mais elles sont très perfectibles.  La lecture est ton seul vrai débroussailleur de certitudes, tu ne sais jamais à l'avance comment elle va opérer en toi, mais tu sais à chaque fois si elle est efficace ou non. La poésie a des lames de haute précision et tu la manies avec respect. Tu voudrais savoir mieux fabriquer tes propres outils, pour cela encore, il faut regarder dans les livres et éliminer ce qui est trop éloigné de ta sensibilité. Tu n'aimes pas perdre ton temps, mais tu aimes pourtant le donner aux poètes ou à ceux et celles qui parlent  de l'intérieur avec des mots vrais, des mots justes et suffisants pour que tu te sentes rassasiée. L'écriture des autres te nourrit, la tienne tente de le faire mais avec plus de maladresse et de doute. Ecrire c'est aller vers l'inconnu, tu n'es pas la première ni la dernière à le constater, c'est une aventure passionnante. Aujourd'hui tu te sens prête et tu vas te mettre à l'ouvrage sérieusement. Les textes laissés en jachère vont devoir se confronter à ton jugement et tu sais qu'il ne va pas être tendre. Ton orgueil va en prendre un coup et ce n'est qu'une étape. Car si tu n'essaies pas, qui le fera à ta place ? 

 

3.01.2021


ETAT DES YEUX | Hiver 2020 | Anne SYLVESTRE [1934-2020] Brassens lui a donné une pomme ...

 

Lorsque je partirai, je saurai tout ce que j'ai connu, ce miel caché

et âpre de la terre, cette lueur d'un corps aux ardeurs insensées.

cet inconnu qui habite  le coeur et console le vide . Lorsque je m'en irai tressaillante.

[...]

Choisir ce qui doit nous lier et nous délier  pour passer l'horizon.

 

Sylvie FABRE G. L'autre lumière dans  Frère humain

 

 

ANNE SYLVESTRE 1934  2020 001

 

Les accompagnatrices, Anne Sylvestre, en faisait partie. C'est en écoutant les grandes filles, les jeunes et moins jeunes mères que j'ai compris peu à peu l'importance des mots de femme dans la vie quotidienne. Ce n'étaient pas forcément des plaintes, des plaisanteries plutôt, qui fusaient de leur bouche, et qui curieusement se retrouvaient dans les chansons d'Anne Sylvestre. Je redoutais un peu le non velouté de sa voix et ses mélodies faussement doucereuses, je percevais la colère cachée et je lui en voulais un peu de ne pas se faire entendre aussi fort que ma mère, ses copines, ses cousines.  Leurs messes basses dans la cuisine me plaisaient. Elles modifiaient pourtant la voix et gloussaient lorsque mon attention était trop affûtée. Je devinais pourtant les secrets, les choses moches, les rancoeurs surmontées, les drames ensevelis, les stratégies féministes embusquées sous la soumission. L'homme et le fils rois de la scène domestique, premiers servis ou considérés dans les tablées familiales étaient moqués, mais tout a changé progressivement avec la levée des cuillères en bois au dessus des marmites, les marmailles ont vite compris que leurs mères voulaient vivre et aimer autrement pour ne pas mourir prématurément. On console volontiers les veufs, les femmes de remplacement sont si nombreuses... Il fallait modifier la donne et rétablir l'équilibre entre les êtres pour une liberté d'expression et de mouvement équitable. Le chantier était balisé. Anne Sylvestre après 60 ans de chansons et une audience bien insuffisante vient de tirer sa révérence. Je ne me suis pas rendu compte à quel point j'aimais ce qu'elle était, ce qu'elle représentait et ce qu'elle avait donné aux générations filles et garçons  qui sont celles que je côtoie depuis l'enfance. Je vais rédécouvrir ses textes et elle  m'accompagnera encore , tout le reste de ma vie... Je sais que je ne suis pas la seule... 

Avec ELLE (S)... rien qu'une fois ?

 

Faire des vagues...

C’est l’habitude qui nous manque
On ne sait pas jeter des cris
Hurler contre ce qui nous flanque
La tête aux murs, certaines nuits
On ne sait pas claquer les portes
Fermer ses oreilles et ses yeux
Jeter au diable et qu’il l’emporte
Tout ce qui nous déchire en deux

Un rien, une paille, un copeau
Une plume de moineau
On ne veut pas peser plus lourd
Qu’un geste d’amour
Un rien, une hache, un couteau
Une épée plantée dans le dos
On ne veut pas montrer le sang
 
Qu’on saigne au dedans

Mais rien qu’une fois
Rien qu’une fois faire des vagues
Et tout casser, rien qu’une fois
Dire "Je pleure et vous ne voyez pas"
Dire "Je meurs et vous, vous restez là
Vous restez là"
Rien qu’une fois
Faire des vagues et que ça bouge
Et que le ciel devienne rouge
Qu’enfin on ose donner de la voix
Vous, mes amours, non, ne me laissez pas
Puisque vous me tenez la main
Ce n’était rien

C’est l’habitude qui nous pousse
À ne jamais peser trop lourd
 
À bien éviter les secousses
À faciliter le parcours
On ne sait pas plier bagages
Et profiter du temps qui va
On veut éviter les naufrages
Les bateaux ne le savent pas

Un rien, une paille, un copeau
Une plume de moineau
On ne soupire pas plus fort
Qu’un enfant qui dort
Un rien, une hache, un couteau
Une épée plantée dans le dos
On dit que ça nous gêne un peu
Que ça ira mieux

Mais rien qu’une fois
Rien qu’une fois faire des vagues
 

ANNE SYLVESTRE DISCOGRAPHIE 001

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | Automne 2020 | à l'intérieur...

WINFRIED VEIT ATELIER

Winfried VEIT  (c)  Extrait d'Atelier 2020

 

Plusieurs couches d'événements de vie personnelle et collective  avant la note d'aujourd'hui. Comme si évoquer, raconter , flotter mentalement comme j'aime le faire entre la Vie et les Livres était rendu plus difficile, moins prioritaire. Les professionnels de l'écriture , ceux et celles qui en font leur métier et leur combat quotidien me semblent perdu.e.s eux aussi dans leurs innombrables tentatives de visibilité médiatique. Il me faut frayer un chemin entre nécessité et dérisoire utilité d'écrire pour que la trace de mes pensées reste ancrée dans un besoin intime et justifiable. Peu importe le jugement extérieur ou au contraire son impact possible sur ce geste pluriquotidien de laisser des mots et des phrases s'agencer sur une page manuscrite ou virtuelle. Je parle volontiers aux internautes dont les écrits me parviennent sous une forme ou une autre. Je réagis... j'agite des réactions souvent plus affectives qu'intellectuelles , j'aime les enrober, les endimancher de plaisir d'écriture. Le moteur est là... Je cultive mes amitiés d'écriture et de lecture en prenant soin de ne pas trop me disperser, car on le sait d'emblée, "qui trop embrasse mal étreint"... Et en temps de pandémie, on est curieusement assignés à l'éclectisme...  De ce point de vue là, la vie familiale est un bon laboratoire, comment embrasser avec les mots et les gestes retenus...  Je suis passée par des moments contradictoires, entre l'envie impérieuse de cesser toute émission de pensées personnelles et la propension à donner aux autres ce que j'aimerais recevoir : la qualité plus que la quantité, la finesse et l'intelligence plus que les bavardages people. Les intellectuels  et les puissants entre eux ont l'art de la hiérarchie et du clivage entre initiés et non initiés , adoubés et roturiers, méritants et invisibles. Les gens simples de condition modeste  font de même,  et les deux camps s'accusent mutuellement de  renforcer le phénomène. L'entre-soi est ce qui ampute les mains tendues. Quelle main d'écriture ou de dialogue tendre à quelques un.e.s de mes contemporain.e.s ? C'est une question que je me pose chaque jour. J'essaie de ne  pas me forcer ni me culpabiliser. J'essaie d'être sincère et de réfréner mes rancoeurs. Il n'y a qu'en politique que je me dois de me positionner, et j'attends les prochaines élections avec intérêt. J'ai peur des débordements et des outrances des extrêmes. Je sais que la confusion est planétaire et qu'il faut raisonner à partir des possibilités d'apaisement et de confrontations citoyennes à l'échelle d'un quartier , d'une ville. Je veux croire en la force tranquille , à celle des femmes qui veulent se protéger et grandir dans l'autonomie de leurs choix de vie et d'amour, à celle des hommes qui acceptent de les écouter et de partager les tâches pour le bien commun et les générations futures. Toutes les guerres avérées , dont celle du virus, et les conflits potentiels ne sont pas des fatalités, elles ont besoin d'être expliquées sans complaisance et refoulées avec tact hors de nos destins. Je ne suis pas une Retraitée passive, ni active dans le sens de l'instrumentalisation qu'on encourage volontiers dans le bénévolat et le don de temps dont les autres voudraient bénéficier. La vie est courte, à qui  et à quoi dois-je la réserver puisque je suis encore libre de direction ? Cette question posée, je constate que je me tiens volontiers en retrait et en attente de causes sociales non belliqueuses. Je me sens cependant mentalement disponible pour penser avec d'autres, notamment dans le domaine littéraire et poétique , ce qui peut être vécu et encouragé en bas de l'immeuble, pas forcément loin, et dans le lien indéfectible avec les autres humains fraternels de la planète pour tous les genres. Je ne me sens pas idéaliste ni formatée.  Je me sens laïque par conviction et solidaire par obsession.  J'espère que  je le resterai sans tourments jusqu'au bout. 

Aujourd'hui, je pense à mes Ami.e.s plus ou moins proches, écrivains, poètes, peintres,musiciens, comédiens , plasticiens, ceux de la Culture qu'on confine pour des raisons sanitaires. J'attends de leurs  bonnes nouvelles et je les espère résilient.e.s .

Je pense en particulier à mon Ami Winfried Veit et à sa compagne Olga. La raison en est privée et ce tableau la symbolise. 

 

M.T. Peyrin  - 7 Novembre 2020  - 15h30

 


ETAT DES YEUX : Lectures impérieuses | Anne PAULY | Avant que j'oublie

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Il est des lectures qui s'imposent à moi sans que je l'aie vu venir... En trois ou quatre lampées  d'attention extrême, le livre d'Anne Pauly a déboulé sur ma table de chevet embouteillée... J'ignore si le battage médiatique m'a influencée, mais ce titre a immédiatement percuté mon esprit et résonné comme un écho à mes sentiments actuels. La lecture n'a fait que confirmer mon intuition. Ce livre là, au moment même où je me coltine les humeurs de deuil imposées par la vie ne pouvait pas tomber mieux.  Je fais partie des lectrices qui ne dédaignent pas les mots des autres pour qualifier des expériences universelles. Perdre ses parents, sa parenté, ses ami.e.s semble constituer le répétitif contexte dans lequel je poursuis mon chemin dans la vie. Après 60 ans,la liste des rendez-vous funéraires s'allonge ...

  Aucun deuil ne ressemble à un autre mais les ingrédients et les paliers de décompression sont les mêmes. Le temps dilue l'impact de la séparation, les choses matérielles et immatérielles se transforment jusqu'à devenir une abstraction familière bercée par la mémoire et revigorée par certaines rencontres, y compris dans un livre... Les gens n'aiment pas parler de la mort et de la douleur qui s'y agrippe, c'est pourtant aussi indispensable que de parler de la vie qui continue et qui n'a pas de limites lorsqu'on la respire à fond de poumons... C'est cela qui me semble prioritaire : reprendre une respiration ordinaire, la plus ample possible , après la mort de quelqu'un de cher... respirer pour deux pendant le temps nécessaire, comme en plongée...lorsqu'on prête l'embouchure d'un tuyau à celui ou celle qui sinon se remplirait d'eau et sombrerait plus vite dans les abysses de l'oubli... 

Pour la plupart des mortels, la vie terrestre est plus drôle à évoquer , avec ses incongruités hilarantes ou agaçantes , ses ratages pathétiques, ses erreurs capitales, ses petits triomphes passagers, mais on ne retient parfois que les blessures et les trahisons. Les tourments  réels ou imaginaires laissent plus de traces indélébiles que la banalité de l'amour lorsqu'il  s'exprime à demi-mots, à demi-gestes, comme un encombrant intermittent. Il est parfois absent et totalement refoulé... On ne peut donner que ce qu'on a reçu, a minima lors de furtifs hommages d'obsèques ou avec talent comme dans ce texte formidable et cathartique...

Le livre d'Anne Pauly a plu à une grande palanquée de lecteurs et lectrices, et il a eu un prix. Nul doute qu'il corresponde à l'air du temps et aux styles des relations familiale et amoureuse des contemporains. Qu'est - ce que le lien filial ? Quelles sont les loyautés qu'il tisse selon qu'on est fille ou garçon ? Comment se tire-t-on d'une enfance bousculée par la maladie alcoolique parentale ?  Qu'est-ce qu'apporte un couple ? Qu'est-ce qu'il altère au fil d'un compagnonnage aventureux et douloureux ? Comment se déguise l'amour en violence et en domination unilatérale ? Qu'est-ce qui se transmet  et se transforme chez les héritiers  ? Qu'est-ce que l'héritage ? Comment restaurer la tendresse sur les gravats de la mémoire ? 

Lorsque je relirai ce livre ( pas tout de suite...) , je le lirai autrement...  Je le ferai lire en attendant, mais pas à n'importe qui et à n'importe quel moment. C'est un livre à laisser dans une boîte à livres anonyme, quelque part, n'importe où, en ville ou à la campagne, je l'offrirai avec prudence, les yeux dans les yeux, à des personnes à qui ça peut faire du bien, mais comme je n'en serai pas certaine, j'en parlerai plutôt à la sauvette,comme on raconte sa vie à des inconnu.e.s par bribes interposées. Il existe une multitude de livres sur ce sujet, mais certains émergent comme des nageurs inattendus...

Cet extrait pour donner une idée du style, ci-dessous  ( c'est un livre dont j'ai souligné des lignes , seulement à la fin, comme pour ralentir la chute de mon attention...

 

" Comment vraiment savoir ce qui avait compté et ce 

qui faisait sens sans relire chaque courrier, sans ouvrir

chaque placard, sans toucher chaque tissu ? Comment

renoncer à traquer, dans chaque recoin, pour n'en rater

aucun, les fils encore incandescents de son passage ici ?

Et  puis, pour m'en débarrasser, encore aurait-il fallu 

que ces choses m'encombrent, or il n'en était rien: je ne

voyais pas quel soulagement psychique il pourrait bien

y avoir, juste après l'avoir perdu lui, à me séparer de tout

ce qui avait constitué le décor de sa vie, de la mienne,

de la nôtre et à ajouter du désordre à la désolation."


Texte pour l'Expo SANCTUAIRES du Peintre Thierry CARRIER à la Galerie Catherine MAINGUY | 11 Novembre 2017

 

On ne va pas vous mentir  

Ici, dormir est difficile     

Dormir là-bas sera difficile     

Dormir n’est pas tellement le sujet

 

CHAMBRE 1642 THIERRY CARRIER Collection Privée 001 (2)

 

Carré 30  1er Mars 2018 | Nous voici à l’  Hôtel Short Stay , Chambre d’ Hôtel # 1642

Texte inspiré d’un tableau de Thierry CARRIER  ( Collection personnelle)

 

 

À la manière de Raymond CARVER

 

 

ON S’ENFERME DEHORS,

PUIS ON ESSAIE DE RENTRER

On sort simplement et on ferme la porte

sans réfléchir. Et quand on regarde

ce qu’on a fait

il est trop tard. Si ça a l’air

de résumer une vie, je veux bien

Raymond CARVER

 Chambre 1642

Ça n’a pas fait un pli, l’Hôtel Short Stay était bondé. On n’a pas pu choisir la chambre, car tout s’est enchaîné. La route enneigée. Le brouillard dégoulinant. Les essuie-glaces explosés.

On n’a pas voulu rouler plus longtemps sans visibilité suffisante dans le pare-brise.

Au hasard, on s’est arrêtés. Mais tu as craint le pire, un tarif à la tête du client, des prestations imposées et un confort sans charme, standardisé, des gadgets électroniques qui ne servent à rien ou à se croire riches.

Et cela tu ne le supportes pas. L’idée de luxe et de surtaxe te répugne.

Tu repenses à la Mère adolescente rebelle contrainte à nettoyer la crasse, et à juguler le désordre chez les Grands Bourgeois des Monts D’Or, des « parvenus » comme elle disait.

Bonne à tout faire, à quatorze ans. La galère, avec un salaire de misère qu’elle rapportait intégralement, chaque fin de mois, à la Belle-Mère.

           -Si tu tiens absolument à t’acheter un manteau pour l’hiver, tu dois économiser !

Parquets à la brosse, avec les vexations en prime. 

           -Il a encore marché sur le mouillé pour aller aux cabinets… il le fait exprès !

          Dans son for intérieur, elle traduisait toujours le double-fond des remarques : Tu n’as pas la bonne classe sociale. Tu n’as pas le sou, peuchère. Tu dois rester jolie, polie, affable, serviable, aimable, corvéable… à la per-fec-tion. Tu dois encaisser le cauchemar ancillaire ancestral ! Je compte sur toi.  Compris, Cosette ?

-Très bien Monsieur, je ferai exactement ce que veut Monsieur ou Madame.

Bla- bla – Bla -Reblabla et Basta !  J’emprunterai l’escalier de service, et dormirai avec ma bouillotte dans la soupente.

 Vous mettrez vos pieds où vous voulez et sous la table à dix-neuf heures pétantes !  Je ne serai pas négligente, ni indolente, ni exigeante et encore moins insolente. J’ai pigé. Il faudra filer doux… Pas de vague … Pas de complication…Mais vous me retardez, là… Vaquons donc… Va - quons !

Dès le hall d’entrée cossu de l’Hôtel Short Stay j’entends mentalement ce vieux récit de ma mère… Lancinante et lourde réminiscence…

Non mais dis donc ! Ça ne va pas recommencer, ici … en 2018 ? Si ? Dites -moi que je rêve… Une femme ou un homme va se coltiner les corvées après notre passage, se casser le dos pour refaire le lit à la vitesse de la lumière, pourtant blafarde ? À peine 5 minutes dans chaque piaule et ce sera le marathon des aspirateurs, le ballet des lingettes humidifiées déchirées dans de vieilles cotonnades, car ici, voyez-vous, on est éco-responsables et on rabote les coûts sur tout…

Bien tirer le dessus-de lit pour qu’il tombe bien droit, débarbouiller la moquette, virer les serviettes éponge, les draps, vérifier les taches coriaces et changer le sac poubelle douteux de la salle-de bains… ne pas le changer s’il n’a pas servi (consigne officieuse).  Mais pour l’heure le petit personnel préposé au ménage ignore que tu n’aimes pas laisser ta propre saleté, ni ton désordre derrière toi, tu détestes la leur imposer, alors que tu pourrais toi-même évacuer tes déchets et remettre tout d’aplomb. Tu n’es pas malade ni manchotte, pourquoi te ferais-tu servir comme si c’était le contraire ?

Tu penses à la personne qui devrait faire ce boulot, l’invisible, la furtive, la sous-payée, la boule de nerf permanente, celle qui ronge son frein, sa colère… Tu penses au jeune enfant ou à la fratrie réveillés trop tôt le matin et qu’elle retrouve tard le soir bien après les devoirs, qu’ils font à l’étude, toute la journée dans le bruit collectif cantine comprise. Tu imagines ses horaires impossibles, coupés, avec un trou au milieu qui ne lui permet pas de rentrer chez elle.  Elle en profite pour laver des vitres à la sauvette, au black, chez un commerçant, à trois stations de Tram de l’hôtel. Un appoint qui permet de payer le gaz, c’est déjà ça, c’est déjà ça… lui chante Souchon. Elle mène son combat quotidien avec courage et beaucoup de cran, ne sachant pas quand le corps va lâcher, ni quand la douleur lancinante va s’installer dans ses articulations, et la honte sourde de s’alourdir en mangeant trop vite et trop mal…Le manque de sommeil et de répit vont se payer au centuple au bout de son temps… Bête de somme moderne. Ne pas y penser… Toi, Si ! Tu y penses ! Tu y penses ici précisément !

Lorsque vous rentrez en couple dans cette chambre 1642, c’est le choc visuel, complètement silencieux ! La blancheur des trois oreillers, l’absence de halo sous la lampe grise, le satin lie de vin du dessus-de -lit vous sautent à la gorge… Est-ce là que vous allez passer la nuit ?  Est-il possible de dormir en dérangeant cet ordonnancement lisse, excessif et anonyme ? Un sentiment de gêne s’incruste dans vos gestes, une vergogne insidieuse vous pénètre par le boomerang du regard… Tu chuchotes quelque chose dans l’oreille de ton compagnon et tu refermes la porte de la chambre 1642. Non ! Vous n’y dormirez pas ! Tu vas rendre la carte magnétique dorée et vous réglerez la somme réclamée pour le désistement. Tu glisseras une explication très rationnelle au standardiste éberlué :  La couleur vineuse du dessus-de-lit est pour nous rédhibitoire ! Excusez-nous, quand on paye, le client est Roi, n’est- ce pas ?

 

M.T PEYRIN

 

 


ETAT DES YEUX | Eté 2020 | Une belle Amitié Bugiste : Christian LUX

Il est parti brutalement fin Avril, en plein confinement. Il est mort dans les bras d'une amoureuse... Elle a fait venir les secours... Il n'a pas survécu... Il avait mon âge... Nous nous connaissions en raison de notre Amitié commune avec Charles JULIET. Sa disparition a semé la stupéfaction parmi ses proches et ses ami.e.s  et aussi à Radio B de Bourg -en -Bresse  où il animait ou co-animait des émissions, dont la sienne L'Art c'est pas du Lux. Il nous manque douloureusement, mais son souvenir nous relie, il était un être généreux et profondément investi dans le partage des richesses culturelles, il était un humaniste actif et avait été un soignant attentif. Il avait fait de sa fragilité de gosse cabossé dès la petite enfance, une force de revitalisation et de courage pour aimer et aider les autres. Il était un homme debout et solaire, un joyeux ambulant propulsé par l'énergie de ses blessures. Un rescapé de l'abandon. Un écrivain en marche également. Il n'a pas eu le temps de boucler son parcours comme il l'aurait voulu.  Nous porterons désormais sa mémoire vivante. Voici le texte d'hommage intégral que j'ai écrit pour lui, sa version écourtée et modifiée se trouve dans l'enregistrement de Radio B diffusé le Dimanche 5  Juillet 2020 à 14h ( 90 minutes).

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CHRISTIAN ET CHARLES

                                                                                                                                               
 
Photo Marie-Thérèse Peyrin ©

 

Christian LUX et Charles JULIET

chez la Jeanne à Bourg en Bresse

Lundi 9 Septembre 2019  

pour l’émission consacrée à Charles à Radio B en ma présence.

                                                                         

                                                                   

                                 

 

Abécédaire

 

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pour une belle  Amitié Bugiste

 

 

en hommage à Christian LUX 

 

Lyon le Vendredi 27 Juin 2020

 

Parce que tu aimes les Lettres… 

 

 

Très cher Christian,

 

Avec Tendresse, je voudrais te parler comme à un très jeune enfant ou à un arbrisseau résistant qui aurait bravé toutes les tourmentes pour pousser dans une forêt qui n’a pas pu le reconnaître, le nommer afin de le rassurer suffisamment.

Je te dédie avec émotion, cette litanie…

 

 

A comme Aller jusqu’au cimetière de CORVEISSIAT, en pleine crise pandémique, n’avoir pas pu t’y rejoindre, pour tes obsèques début Mai.

 

B comme Berceau des Silences, Le Silence final dans lequel tu viens de retourner… Silences que tu as subis dans ta toute petite enfance Lyonnaise .

 

C comme Connivence, en hommage à ta force d’interrogation sur la place de l’Autre dans chaque vie, même parmi les plus cabossées.

 

D comme Détermination, dans ta reconstruction d’un Destin acceptable ,après déboires, dérives, douleur et don de soi, à foison.

 

E comme Écoute, écouter les autres, en faire ton métier, puis ton vif plaisir radiophonique, ici, à Radio B dans ton émission « L’Art c’est pas du Lux ». Empathie profonde…

 

F comme, Frénésie d’action, au fil de rencontres Littéraires et Artistiques que tu as su créer, afin de donner au plus grand nombre, cette « Nourriture » dont a parlé notre bel Ami partagé, Charles JULIET, dans toute son œuvre.

 

G comme Généalogie, à la recherche des traces administratives liées à l’Arbre-Père-Mère. Ce référent originaire demeuré inconnu de toi et qui t’a durablement caché la Source de tes angoisses, toutes arrimées à ton sentiment d’abandon, jusqu’à ce que tu décides de partir seul à sa rencontre, en passant par des recherches d’archive , et la pratique personnelle  de l’écriture …  Vers tes cinquante ans,  tu as fait le plus grand pas de ta Vie… Vertige généalogique de la découverte partielle de ta propre tragédie. Gratitude , envers ta famille adoptive, laquelle  t’a permis de grandir malgré tes peurs et ta colère légitime.

 

H comme Hôpital où en tant qu’infirmier psychiatrique, comme je l’ai été moi-même, puis psychologue clinicien, tu as croisé et soigné des personnes éprouvées, des enfants notamment. Tu les as accompagnés dans leur histoire, leur trajectoire, bien souvent en écho à ton « Malheur secret », et en qui tu as su voir des êtres tout autant fraternels, courageux et parfois, aussi résilients que toi.

 

I comme incandescent, avec ta fougue et ta bougeotte, ton ouverture extrême à l’inédit, y compris dans tes choix de vie …

 

J comme Jujurieux, le village familier de Charles Juliet à qui tu as envoyé avant de les faire publier, des lettres de lecteur attentif, des pages magnifiques, sans pour autant mieux te faire connaître de lui . Tu n’osais pas le déranger, aussi te voyait-il virevolter quelques fois, comme un insecte épris et captif dans la lumière d’une lampe attirante… Vous parliez Rugby. Ta remarquable mémoire des noms de joueurs vous rapprochait …

 

K comme Kaléidoscope de ta fratrie dispersée et recomposée par nécessité et hasard circonstanciels, à l’image attristante de la sienne…

 

L comme Libéré ou du moins soulagé, après plusieurs années de travail personnel psychanalytique. L  comme  livres en chantier, livres stoppés net en plein élan , Toi aussi tu voulais, entre autres projets, écrire un Abécédaire autour des livres de Charles. C’est ce qui m’a donné l’idée pour cet hommage.  Liens coupés, lettres en suspens… livres encore à venir… je l’espère encore fort aujourd’hui… Qui en prendra soin ? Ces Archives muettes, qui les publiera, en mémoire de Toi ?

 

M comme Mères, toutes les Mères empêchées…absolument toutes, les Mères absentes ou remplaçantes… Les « Mères d’ignorance», mères toujours manquantes, mères mendiantes et mortifiées… mortifères par absolue malchance…

 

N comme Nourriture que tu as refusée dans les premiers temps de l’adoption… Amputation de la bouche autrefois rivée au sein maternel, sevrage brutal… Placement … Toi aussi, tu as sans doute bu « le lait noir de la mélancolie » dont parle Charles dans un poème…

 

O comme Oubli… Oubli des Limbes de l’existence… « J’oublie de t’oublier » écrivais-tu dans ton carnet, phrase adressée à ta mère identifiée mais jamais rencontrée, une mère cruellement vivante à un moment donné, ou déjà disparue, inaccessible, quelque part… non à portée de regard… Tu ne sais pas où … Cela te rend fou de chagrin… T’avait-elle oublié toi et tes frères et sœur ? Avait-elle oublié de vous oublier ? Tu ne l’auras jamais su…

 

P comme Père déchu, volatilisé, peut-être volé à ton Amour d’enfant déraciné ?

 

Q comme Questions sans fin… dans un puits perdu…

 

R comme Rythme cardiaque, ton rythme cardiaque qui s’accélère lorsque tu accueilles entre tes mains le dossier administratif qui va enfin te révéler ton histoire, nommer tes attaches génétiques. La découverte de ton Passé transcrit sur  quelques feuillets que tu n’as pas eu l’autorisation de photocopier.

 

S comme Source maternelle emmurée à perpétuité, et pourtant tu ressasseras puis tu t’exclameras un jour : - Mère, je suis ta Sentinelle !

 

T comme Tes frères et sœur de naissance : Guy, Gérard, Joëlle, confisqués à ta tendresse…et à celle de tes parents … T comme Ta famille d’adoption où tu as trouvé refuge, éducation et soutien fiable et indéfectible. C’est d’ailleurs dans leur village et dans leur sépulture familiale que tu as pu être inhumé.

 

U comme Universel…Comment passer du cas particulier aux cas universels, porteurs de souffrance, de combat et d’espérance ? Tu te l’es demandé. Tu t’es imaginé Franciscain, aspirant à le devenir, d’une manière ou d’une autre, dans la simplicité et la pauvreté déjà endurée à tes débuts dans la vie.

 

V comme Voix éplorée, Vulnérable, Carnet Violet dans ton manteau d’hiver, dans ta veste d’été où tu consignais secrètement des paroles à la mère…et peut-être auparavant à l’amoureuse… Certaines lettres en poste restante… Le Vide de l’absence les a fait surgir… La quête d’Amour n’a pas de limites.

 

W comme petits Wagonnets de Mémoire que tu as rassemblés et articulés afin d’acheminer en son meilleur parcours, le train endiablé de tes vicissitudes et de tes réussites.

 

X comme Anxiolytiques, ces comprimés, que tu n’as pas voulu avaler au décours immédiat du moment même, historique, où tu as pu accéder sans anesthésie, aux données biographiques réglementaires, sombrement  Cette vie consignée relatant la situation familiale si difficile. Celle qui a conditionné et précédé le traumatisme indélébile de la dispersion graduelle et irréversible des petits LUX… « Donnés et non Abandonnés » du moins l’espérais-tu … longtemps après … par empathie pour eux.

 

Y comme le YIN-YANG, le recyclage permanent des flux et des courants vitaux au cœur de ta nuit ensoleillée.

 

Z comme Zone d’ombres, résiduelle, intouchable, préservée …car tu as « cultivé ton intérieur » pour faire fructifier « ton sentiment d’exister » à l’abri des menaces et des intrusions. Dès lors, cette « Joie Grave » tu ne t’en sépareras jamais , elle est gravée dans ta mort prématurée… Je la ressens physiquement et je vois ton sourire qui la dorlote... je perçois de surcroît ta douceur…

Ainsi, je te vois, homme mûr apaisé, je te le souhaite …

Avec toutes ces lettres de l’alphabet habillées, endimanchées avec déférence et affection, j’espère que tu entendras résonner les accents de l’amitié indéboulonnable que je te voue.  Mais aussi le désir de te rendre les mérites que tu n’as peut-être jamais osé mettre en avant devant tes ami.e .s, tes amours et tes proches dont certains  témoignent ici de ton éclairant passage sur Terre…

Parler un peu de toi, de ta vie n’est pas un luxe, c’est ni plus ni moins une restitution d’identité. Un chant apaisant pour l’éternelle vie.  Ciao, Christian ! On se retrouvera… Chez La Jeanne à Bourg en Bresse ou ailleurs, c’est toi qui décides !

 

Ton Amie de Lyon, Marie-Thérèse Peyrin

 

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Cliquer iCi! pour écouter la version courte ( 4 mn) mais aussi l'hommage Collectif  enregistré avec 23 participant(e)s et diffusé le Dimanche 5  Juillet ( 90 mn) à Radio B. Merci à Elodie Gadiollat pour son travail de mise en lien des participant.e.s et le montage de cette mémorable émission.

 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Quatorzaine

 

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Extrait flou d'une Biennale d'Art Contemporain au Musée Confluences

 

la parole est un noeud dans le ventre, ce noeud rentré est

l'ombilic. La parole dit le lien et la séparation. Le ventre est le

lieu, le lien de séparation. Il n'est pas nécessaire de comprendre.

Il suffit d'accueillir les mots qui me quittent.

 

Michaël Glück , ciel déchiré après la pluie

 

 

Quatorzaine

 

Le premier mot du confinement est  consternation

Le second est information

Le troisième est explication

Le quatrième est expérimentation

Le cinquième est compassion

Le sixième est séparation

Le septième est distanciation

Le huitième est concertation

Le neuvième est émotion

Le dixième est réflexion

Le onzième est connexion

Le douzième est évolution

Le treizième est confusion

Le quatorzième est décision

 

[...]


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Sous la lampe de jour et de nuit de Colette

 

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"Je voulais que ce livre fût un journal

Mais je ne sais pas écrire un vrai journal,

c'est à dire former grain à grain, jour après

jour, un de ces chapelets auxquels la préci-

sion de l'écrivain, la considération qu'il a

de soi et de son époque, suffisent à donner

du prix, une couleur de joyau, garder l'insolite,

éliminer le banal, ce n'est pas mon affaire,

puisque ,  la plupart du temps, c'est l'ordinaire

qui me pique et me vivifie. A me promettre de

ne plus rien écrire  après...

[... ] Que mon lecteur s'y résigne : lampe de jour et

de nuit, bleue entre deux rideaux rouges,

étroitement collée contre la fenêtre comme

un des papillons qui s'y endorment le matin,

en été, mon fanal n'éclaire pas d'événements

de taille à l'étonner. ".

 

Colette, Le fanal bleu

 

Dimanche de Pâques .  

J'écoute une émission sur Colette ce matin...

"J'ai bonne envie de dire"... comme  cette ancêtre de littérature, que je n'ai pas vraiment lue jusqu'ici,  ce que j'ai en tête aujourd'hui,  "collée" à la baie vitrée et à l'écran d'ordinateur...

Cela n'a pas grand chose à voir avec elle. Mais sa légende m'intéresse... son "bonnet d'astragan" en guise de chevelure... Sa liberté de comportement, son goût pour les marginaux et la rusticité dans ses relations. Ses défiances contre les "suffragettes" et ses encouragements pour un féminisme au quotidien... Dans la vie comme au cinéma , "il n'y a qu'une bête" et "les secrets des simples"...

Je pense à toutes les fêtes de Pâques traversées depuis ma naissance, la plupart amnésiques. La tradition des poules dodues et des poissons plats en chocolat, des mini-oeufs en sucre parfaitement écoeurants, dont nous nous gavions pourtant pour sentir la liqueur sous la dent, exorbitant luxe familial  annuel associé à la messe et aux cloches tambourinantes. Il y a belle lurette que je ne vais plus à la messe, je suis une mécréante assumée qui songe avec tendresse et ironie à tous ces mensonges de l'éducation parentale, eux-mêmes piégés par leur formatage social et culturel. Le rituels chrétiens ont disparu de ma vie, sauf pour les inhumations où je ne peux que respecter les choix des morts et de leurs représentants mais je me refuse à réciter les prières imprimées dans mon cerveau, à chanter des chants laudateurs et culpabilisants. La liturgie me semble à chaque fois artificielle, outrancière,  complètement détachée de l'affectivité des survivants. "Ne pleurez pas ! " Bien, sûr que si !  " Laissez - le ou la entrer dans le Royaume de Dieu " !  Encore faut-il qu'il existe !  Ici-bas , il s'appelle inquisition, terrorisme, scandale pédophile, carcan comportemental, patriarcat rétrograde... Dieu n' y est pour rien 'y 'existe pas... Si ?  et s'il existait, il faudrait lui demander des comptes, non ? La religion n'a été inventée que pour capter des richesses et réguler l'expansion des graffitis sur les murs des lamentations. L'humain est démuni, impuissant, fragile et il réclame depuis la naissance une protection supérieure, un modèle d'identification et des repères pour tracer son destin... Le sentiment d'appartenance à une croyance collective le rassure et l'enferme dans des doctrines qui le dépassent et le contraignent. L'aspect commercial des festivités religieuses est un prosélytisme déguisé difficilement évitable. Avec la mondialisation et le mélange des cultures il devient une Babel Babylonienne où nous picorons des distractions conviviales. Aujourd'hui nous ne ferons pas la chasse aux oeufs avec l'enfant dans un jardin... Nous ne lui parlerons ni de  Jésus, ni de la résurrection, ou alors s'il s'y intéresse, comme un conte de fée un peu glauque ... La semaine sainte est confinée  et elle évite des contaminations. C'est un bien commun que de suspendre ces rassemblements  dans les circonstances actuelles. Cela me fait réfléchir sur le statut de la spiritualité et de ses effets grégaires dans nos existences. Nous ne renoncerons pourtant pas aux petits oeufs qu'on cache, nous en répartirons dans l'appartement, mardi prochain, avec un plan d'île aux trésors... 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Cadeau de Pâques

 

 

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Chantal ROUX  1949- 2016 (c)

 

Impuissante à se libérer

Pour que fleurisse sa tige, 

Ailleurs le laurier monte 

Jusqu'au prestige

 

Armen LUBEN, Sainte Patience, Jour après jour

 

 

Odyle est une Amie de longue date, que j'ai connue lorsque j'étais élève infirmière dans un grand Hôpital Psychiatrique départemental. J'ai repris son poste lors de son départ de la ville et j'ai gardé le contact avec elle, ce que je ne faisais pas facilement à l'époque. On rencontre tant de gens lorsqu'on travaille dans un établissement de santé qu'on en a le tournis, mais les amitiés qui s'y forgent ont un caractère inaltérable. Ces compagnonnages aident à supporter les difficultés du métier, le rendent plus humain, plus solidaire. Cette Amie avait supporté la jalousie des autres soignant.e.s car, lorsque je l'ai connue, elle travaillait à la journée et avait tous ses week-ends. La règle étant alors de travailler en 2 fois 8 heures en alternance , commençant tôt le matin ou finissant tard le soir, avec des repos variables selon un cycle préétabli et une relève d'une demi-heure entre les équipes, y compris avec celle de nuit . Au bout du cycle, il y avait trois jours de repos consécutifs et la possibilité d'y accoler des jours de congés en les optimisant le mieux possible. Certains agents étaient passés maîtres en prévisions de planification et cherchaient à obtenir les roulements les plus avantageux dans l'équipe. Des tensions naissaient de cette course aux meilleures places pour diminuer le plus possible le temps de présence en service dans la folie ambiante. A cette époque le nombre des patient.e.s confiné.e.s  allait jusqu'à 50 dans des conditions architecturales héritées d'Esquirol , où la promiscuité était génératrice d'inconfort majeur et d'angoisses exacerbées par les pathologies de départ. L'immersion quotidienne dans ces lieux d'enfermement tenait de l'entrée dans la fosse aux serpents ou aux lions, et l'humanisation était une obsession pour les jeunes soignant.e.s livré.e.s à eux-mêmes les trois-quart de leur temps, ou supervisés par des directives médicales plus ou moins convaincantes et intermittentes.Les services les plus difficiles étaient souvent désertés par le corps  médical, et redoutés par les personnels subalternes... C'est pourtant là que se trouvaient les clés de compréhension de la nature humaine et de ses besoins fondamentaux. C'est là que le métier rentrait le mieux en même temps que l'humilité et le courage. Mon Amie le savait et c'est pour cela qu'elle  avait accepté la mission d'organiser des activités pour des malades extrêmement démunis et perturbés psychiquement, certains sans langage verbal articulé. Une gageure, un défi fou... une utopie sans doute, mais elle y croyait et le prouvait chaque jour en organisant  pour les plus régressé.e.s, ce que j'appelais avec un humour un peu douteux, son "école maternelle à perpétuité", et pour les autres, des activités ergothérapiques  "occupationnelles"... Son enthousiasme, sa créativité et sa douceur tranchaient avec les attitudes très défaitistes des autres membres de l'équipe, mais elle savait attirer certains d'entre eux pour rallier sa cause humanitaire de proximité. Elle est sans doute l'une des rares professionnelles qui m'ont donné envie de continuer ce métier en allant vers une amélioration des conditions de considération  des malades et des personnels.

Aujourd'hui, cette Amie souffre d'une maladie de Parkinson ... Elle  fait encore du théâtre et s'investit dans une Association liée à ses préoccupations actuelles,  malgré le fait qu' elle se retrouve murée dans ses mouvements, de l'autre côté de la barrière des soins... Parfaitement lucide, elle endure tout avec douleur et désespoir.  Elle s'est blessée récemment,à la colonne vertébrale, en tombant. Elle a été hospitalisée en plein confinement... Double peine , pour elle aussi... Je ne sais pas comment la soutenir, car toute conversation au téléphone est impossible, sa voix a disparu ou ne peut être audible...  Seule l'écriture qui lui demande un effort surhumain est encore praticable. Elle m'envoie un poème qui me bouleverse. Je le retranscris ici :

 
Semaine sainte sans office...
 
Lundi
Traverser le pont
Chercher
Regarder en arrière
Retraverser le pont
Faire une lessive
Plonger dans l'incertitude
 
Mardi
Tes yeux n'ont rien dit
Il faut traverser le pont
Quelle est la couleur de l'eau ?
Ou se niche la vérité 
Retraverser le pont
 
Mercredi
La douleur est insupportable
Il faut traverser le pont
Les masques se fondent 
En larmes
Il faut retraverser le pont
 
Jeudi
Accrocher le cadenas des amours
Cirer ses chaussures
Dire merci
A qui à quoi?
La vérité qui me la dira?
 
Vendredi
Jour de marché
Traverser le pont
Chagrin
Clandestin
Elle a osé
Elle n'aurait pas du
Faut _ il traverser le pont?
 
Samedi
Acheter des fleurs
Du vin 
Traverser le pont
Ecrire en bleu
La vérité
Se laver les dents
 
Dimanche....
 
Je saute 
 
 
 
Odyle Collin

ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Flotter, je ne vois pas d'autre choix ce matin...

    

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Je cherche en moi ce qui permet de ne pas laisser libre cours à l'inquiétude contagieuse. Je ne crois pas qu'il s'agisse de barrières ou de filtres pour barrer la route à la conscience. Certainement pas... Je me rapproche de l'idée d'un risque de mort possible dont j'ignore la cible et les délais de surgissement. Je ne veux pourtant pas mourir tout de suite ni laisser mourir les autres et je me demande bêtement comment il faut s'y prendre, en dehors du fait de ne pas sortir de chez soi, laissant mon compagnon prendre le risque pour lui-même de rencontrer l'indésirable agent d'épouvante qui se propage dans le Monde sans permis de passe-frontières. Je devrais applaudir mon compagnon plus souvent ! Il s'occupe aussi des trajets de l'enfant aller-retour pour les jours de garde car pour aider ses parents,  nous veillons ensemble à sa progression scolaire en lien avec les directives numériques de l'instituteur. Nous devons garder notre sang-froid devant la perspective d'un prolongement du confinement et l'attente de solutions sanitaires efficaces et accessibles. Nous sommes pourtant des privilégiés. Retraités donc disponibles avec de l'argent suffisamment pour varier les repas et assumer nos besoins matériels.

    Nous avons travaillé quatre décennies complètes ( la grande moitié de notre vie...) pour obtenir ce niveau de confort et prenons la mesure des efforts consentis à cet effet pour élever trois enfants en travaillant. Ces derniers parviennent tout juste à vivre décemment de leurs salaires, malgré des études et un environnement aidant, ils ne feront jamais partie des classes dominantes et je n'en suis pas du tout contrariée. La solidarité est de mise car nous ne savons pas comment les choses vont tourner pour tout le monde.

    Nous pensons aussi à la famille élargie, aux ami.e.s, à ceux dont l'âge les installe dans les populations à protéger en priorité. Je pense à ma vieille Dame tant aimée qui se laisse couler au fond de son lit d'E.H.P.A.D faute d'alternative... Je pense également à tous ceux qui sont dans la misère, dans la rue, exposés comme à un pilori qui n'est pas du tout symbolique mais bien réel. Les sacrifiés du système aux abords des caniveaux...

    Je pense aux migrants que nous avons soutenus tout un hiver : Vladica, Gordana et leurs petits Mélissa et Michaelo,  Margan et Klaudia, leurs enfants Léontina et Alexander lesquels se sont volatilisés dans la Nature plutôt que d'être reconduits manu militari dans leurs pays d'origine. Des centaines comme eux balladés entre des états rejetants... Je pense au  malin loup noir non menaçant  que je leur avais dessiné sur un carnet pour apprendre à parler avec eux...les faire sourire... apprivoiser leur coeur en bonne humanité... Dans ma vie, je n'ai jamais été reçue avec autant de générosité que parmi eux. Ils n'avaient rien, ils étaient confinés eux aussi dans des Foyers déclassés et insalubres, ne pas être à la rue était pour eux le summum du répit.  Ils vivaient au jour le jour en essayant de comprendre les circuits de l'aide et en remerciant sans cesse du moindre geste de secours... Comment avouer que je pense plus à eux en ce moment qu'à mes proches dont je sais qu'ils ont ce qui faut pour ne pas paniquer ou le moins possible.

    J'essaie de me rappeler ce que nos parents disaient de leur vie pendant la guerre, comment ils la percevaient, de quoi ils avaient peur au quotidien. Curieusement, leurs souvenirs étaient flous ou caricaturaux, les chaussures trop petites, les topinambours et les rutabagas, le couvre-feu, les boches à tous les coins de rue, le bruit des bottes, les convois militaires, les ravitailllements à la campagne en vélo... l'attente interminable...

    Quand nous sommes nés dans les années 50 et en grandissant, ils n'en parlaient qu'en nous voyant tordre le nez sur une assiette d'épinards ou de chou-fleur... Gaspiller était un péché non véniel.

Aujourd'hui et ici,  l'ennemi  est un insidieux , un invisible qui peut pénétrer à tout instant dans nos maisons , il ne sera jamais le bienvenu, et son danger potentiel est permanent.

     Je ne devrais pas m'épancher ainsi... Ecrire ce que tout le monde sait , sent et redoute est presque indécent. Mais garder la trace subjective d'un état d'esprit à un moment donné peut être un sujet de réflexion. Comment tient-on le cap  face aux tempêtes virales, morales et pulmonaires de ce siècle ? Je n'en sais rien...

J'accorde mon souffle à celui des autres pour faire dévier la proue...la voile est trouée de part en part, et la coque rouillée grince dans toutes ses jointures, elle veut pourtant rejoindre une crique de sérénité qu'elle ne distingue pas encore à l'horizon... Flotter...Rêver...je ne vois pas d'autre choix encore ce matin...


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Confinement

 

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Germaine Richier

 

Samedi 4  Avril  2020

 

BILLET (DE BONNE) HUMEUR
(Faut pas croire)


... Et je vous épargnerai la série avec ses RV du Soir Bonsoir Espoir... Ne me remerciez pas !

Tout le monde nourrit les pensées de tout le monde en ce moment, mais l'appétit s'épuise et s'inverse. On veut fermer la bouche, mais ça rentre par les oreilles, de gré ou de force. Je me demande où l'on pourrait trouver un refuge où pouvoir jeûner un peu, laisser s'essorer le corps de tous les allègres postillons virtuels. La littérature est partout dans la moindre pore , pastille effervescente sur la langue, elle fait crisper les yeux. On nous dessine le virus, on le microscopiste, on le fait migrer en 4 D, et en clips, il est omniprésent, stroboscopique, comme un excès de poivre dans les aliments.

Au début, on reste un peu polis. On dit - Non Merci ! J'ai ma dose aujourd'hui ... Mais on insiste, on nous veut du bien à distance, sans fournir la notice d'utilisation et les recommandations sur les effets secondaires. Peuple enfermé d'oies civilisées mais chacune a sa cage , son champ de manoeuvre utilitarisé, enfin presque... dehors les hélicos surveillent... Apocalypse now sans les haut-parleurs ...

Mais moi je préfère regarder les moineaux en pensant au balcon grillagé de Jeremy Liron qui peint sur des boîtes de cracottes ou d'autre chose ( on ne voit plus la marque...).

Envie furieuse de visions intérieures à paysages sans limites entre l'eau et le ciel, la langue de terre et l'horizon. Alors je me recouche un moment et je rêve... Mais le confinement imprime des scénarios de cabanes et d'exodes, de maisons percutées de plein fouet par l'insécurité ambiante. Je les chasse elles aussi au réveil et je regarde autour de moi. Je suis seule un moment et je me nourris moi-même comme les moineaux du balcon, graine après graine, lentement, en guettant les prédateurs.

Je n'ai plus envie de dormir, un rayon de soleil prêche pour la tendresse. Je la cueille en silence dans mon coeur qui bat tout sauf la chamade. Je me sens vide et loin de tout. Et j'écoute ( un peu) Wagner en sourdine...

 

Avec Georges SEFERIS

La maison près de la mer [ Extrait]

[....]
Je ne sais pas grand chose des maisons :
Je sais qu'elles ont leur caractère voilà tout.
Neuves au début, comme les petits enfants
Qui jouent dans les jardins avec les franges du soleil,
Elles brodent des persiennes de couleur et des portes
Etincelantes sur le jour.
Quand l'architecte a fini, elles s'altèrent,
Elles se rident, ou sourient, ou encore s'irritent
De ceux qui sont restés, de ceux qui sont partis
Et de ceux qui reviendraient s'ils le pouvaient,
Ou qui ont disparu, maintenant que le monde
Est devenu une immense hôtellerie.

Je ne sais pas grand chose des maisons
Je me rappelle leur joie et leur tristesse
Parfois quand je m'arrête;

aussi

Parfois près de la mer, dans des chambres nues,
Sur un lit de fer, sans rien qui m'appartienne,
En regardant l'araignée du soir, je me dis
Que quelqu'un s'apprête à venir, qu'on le pare
D'habits blancs et noirs, de bijoux de toutes les couleurs,
Et qu'autour de lui à voix basse
Parlent des femmes de grande dignité,
Cheveux gris et sombres dentelles -
Qu'il s'apprête à venir me dire adieu, [...]

Tu sais les maisons s'irritent facilement
Quand on les dépouille

Livre de bibliothèque offert par un ami écrivain. 1963

 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Ravalements...Rétroviralement... Révélation... Réveil ?

 

LA SPHERE

 

La possession de cette sphère de bois fut un grand

bonheur dans la vie de Bertrand. Il la plaça sur une colonne

et la faisait pivoter. Mais il souffrit bientôt de n'en voir 

qu'une face. Il couvrit le mur d'un miroir et put ainsi 

contempler la boule tout entière . C'est alors qu'il comprit la

grande douleur de n'en point voir l'intérieur.

 

NORGE | LE SAC A MALICES

 


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CJ PAR Winfried VEIT 001

Charles Juliet par Winfried Veit  2019

 

Ce qui est surprenant et instructif dans la vie, c'est qu'on ne sait jamais comment elle va tourner, et autour de quoi. 

J'avais un peu abandonné cet espace d'écriture, l'avait remplacé provisoirement par autre chose, d'autres chantiers.

J'hésite toujours entre poésie et prose, idéalement, j' aimerais allier les deux comme des morceaux de mosaïque, à la manière de Ferdinand Léger ou de Marc Chagall, et même savoir aller parfois (pas trop souvent) jusqu'à la réflexion argumentée d'essai, comme Pascal Quignard ou Patrick Laupin qui s'appuient sans se rassurer eux-mêmes sur les trésors de la langue et de ses origines...  Le premier Musicien, le second Mallarméen, les deux recéleurs de larmes qui ne sont pas que les leurs...  J'aime cette transcapillarité des destins humains... de la douleur  et de la solitude  en pleine conscience...

Mais voici que les circonstances, l'avènement du  redoutable COVID 2020 qui séquestre tout le monde ou pas loin parmi mes contemporain.e.s me ramène à cette cabane de mots saisonniers.  Je n'ai pas tellement envie de commenter ce qui se passe à l'extérieur de cet espace virtuel, mais je prends souci du lien humain que l'écriture peut apporter en réfléchissant sur ses excès et ses carences. Je n'ai jamais eu peur d'exprimer ce que je pensais dans la vie courante, et  j'aimerais que tout le monde puisse en faire autant. Je sais que c'est difficile et que le silence intelligent fait partie des capacités à développer en temps sociaux troublés, en raison objective de l'angoisse générée par la Pandémie actuelle...

Nous sommes en grande majoriré confiné.e.s chez nous ou chez d'autres, néanmoins certain.e.s sont contraints de sortir pour soigner, nourrir, maintenir un minimum de services publics au péril de leur propre santé. Il y a des phénomènes  de solidarité spontanées ou suscitées par les médias et le réseaux sociaux numérisés... Les capacités d'adaptation à l'urgence sanitaire fait couler beaucoup d'encre, de salive et chacun.e y va de ses recommandations, ses astuces, ses mises en garde, ses blagues plus ou moins douteuses, sa stratégie de résilience... La vie ne se laisse pas museler et c'est un réconfort de le savoir... En dessous du volcan d'angoisse et ses projections menaçantes, il y a la réflexion éthique, politique et bien sûr l'idée que l'aventure collective  et l'expérience liées à la catastrophe en cours aura des leçons à donner, et  exhumera une nouvelle façon  de considérer les héritages de la consommation sans discernement, d'une mondialisation qui propage les maladies et les injustices, les rend encore plus criantes...  Plus que jamais, les méthodes et les moyens montrent leurs limites, leurs erreurs , leurs aveuglements, leurs impuissances déniées par les décideurs du moment...  C'est le moment de se poser les questions essentielles et de les soumettre au tri et au recyclage énergique...

A l'échelle individuelle, dirait KRISHNAMURTI , dont me parle Charles JULIET tous ces jours, tout est possible !  Le tout, le rien !  Et il sourit... Moi aussi... toujours un peu rivée à cette histoire de ...

COURAGE DES ESCARGOTS !

 

 

 


Un 22 Mai à Vénissieux , en compagnie de Charles Juliet et de quelques autres...

Pour Charles JULIET

A ses lectrices et ses lecteurs

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Là où le cœur attend, un très beau titre de livre paru en Novembre 2017, celui de Frédéric Boyer le nouveau directeur des éditions P.O.L qui a succédé à Paul Otchakovsky-Laurens, ton éditeur principal, tragiquement disparu dans un accident d’automobile le 9 Janvier 2018 en terre Guadeloupéenne. J’emprunte ce titre  aujourd’hui pour qualifier le livre collectif FRATERNELLEMENT , Charles Juliet, qui nous réunit aujourd’hui autour de toi, avec nos partenaires de lecture : l’Espace Pandora Thierry Renard et son équipe, Jérôme Triaud  de  la Médiathèque Lucie Aubrac et ses collègues , Vincent Gimeno représentant le Marché de la Poésie, et toutes les  belles personnes qui ont contribué à ce défi à peu près fou… comme vouloir labourer un champ immense avec la pointe d’un stylo, ou à distance avec un clavier d’ordinateur. Mais la démarche reste paysanne, elle s’accorde aux caprices du ciel et à ses mannes aléatoires. Faire lever la semence de la compréhension profonde et de la gratitude ne demande rien d’autre qu’une certaine obstination et une joyeuse patience.

 

Ce livre est bien celui où le cœur attend et espère quelque chose d’inédit et d’inattendu dans la rencontre entre ton œuvre et ceux ou celles qui te lisent par coeur ou qui te liront mieux encore, je n’en doute pas une seconde…

Toi, qui écrivais pour nous, pour des inconnu.es aussi :

 

Les mots que je forge

à l’intérieur de la grotte

je les propose à ceux

qui cheminent doutent

n’ont plus la force d’avancer

 

eux seuls peuvent

les recevoir

se les incorporer

 

Des frères et des sœurs en lecture, tu en as beaucoup, et cette grande famille adoptive très inclusive ouvre ses bras pour toi et tes mots encore une fois…

 

Comme m’a dit notre amie Geneviève Metge l’autre jour, ce recueil de témoignages est un livre affectif, il est effectif aussi, puisqu’il a réussi à exister, j’ajoute volontiers qu’il est affectueux.   Qui s’en plaindrait ne serait pas parvenu.e là où le cœur attend … et espère…

 

 

Marie-Thérèse PEYRIN   le 22/05/2019


ETAT DES YEUX 1 | En Automne | Appartenances

 

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       Entre lecture et écriture le regard s'affaire et se défie des zones délabrées du souvenir. Quelque chose de profond s'amenuise dans le retrait des circonstances. La vie a pris le pas sur le retour sur images. Synchronie des événements et de leur reprise dans l'écriture. Le mot à mot des silences successifs embrasse toute la portée des douleurs. La tranquillité s'affermit , elle a cessé de se vouloir et d'en vouloir davantage. L'inquiétude est composite, elle a à voir avec l'empilement des années, elle gise comme un minéral abandonné sous une couche d'humus, une sorte de socle un peu caché mais non expulsable. Des mouvements d'eau ou d'air peuvent la mettre à jour, l'on admet donc le phénomène une fois pour toutes même si on le redoute . Appartenance au destin, appartenance à la chute des raisons, appartenance à la joie des présences, appartenance à la tristesse des séparations, appartenance aux loyautés déductives, appartenance à la faiblesse universelle, appartenance au courage contagieux, appartenance à la conscience dubitative, appartenance au magma des éruptions inconscientes imprévisibles, appartenance aux sentiments dédiés, appartenance à la souffrance  corporelle, appartenance aux indépendances actives, appartenance au chagrin, appartenance à l'émerveillement devant la nature vivante, appartenance à la terreur des terreurs perpétrées par les hommes, appartenance à la douceur restituée dans chaque parcelle de consolation, appartenance à la cause des femmes, des mères et des amantes, appartenance à la vie donnée et rendue sans regrets, appartenance à la langue orpheline des autres langues non apprises, appartenance à la planète comme fourmi-cigale à la chance inouïe, appartenance à ton amour que je n'ai pas vu venir et repartir, appartenance à l'amitié qui supporte l'attente, appartenance à tes yeux qui n'ont pas dit leurs derniers mots, appartenance à l'appartenance qui arrime aux consciences et à leurs gestes imprévus, appartenance au rire, à l'humour , au sursaut, au sursis, appartenance au manque, petit moteur de tout.

 

M.T. 11 Octobre 2015


Du côté de chez SWAN | Rencontres 1

 

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              Photos M.T Peyrin - Les habitants du Lac  | Miribel| été 2015

 

Mendicité palmée...


Un soir d'été au bord du Lac peuplé de verdure et de grands cygnes blancs. Ils viennent chercher la pitance donnée par les baigneurs ou les promeneurs. Ils ne craignent pas de s'approcher de la rive. Leur nage est élégante, majestueuse. Leur long cou mobile glisse en dansant entre l'eau et le ciel. Leurs yeux fardés d'orange, cerclés de noir guettent les jeteurs de pain.

 


ETATS DES YEUX | Dans l'été | Temps 1

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Photo M.T Peyrin - Temple Boudhiste | Détail de peinture | MORVAN | été 2015

 

Un cycle se termine, qui n'a pas été toujours très drôle. Mais on a résisté dans ce petit feu intérieur vigoureux qui sait se cacher pour ne pas s'éteindre. Trois années éprouvantes  pour des circonstances variées et non liées aux proches. Une vie professionnelle qui a perdu de son sens initial. Impression de délitement des valeurs partagées, mais curieusement confiance dans les générations suivantes. Ils feront différemment ce qu'on a fait, traverseront les mêmes interrogations et inventeront  de nouvelles embarcations pour naviguer en eaux sauvages comme en eau calme. Les trentenaires s'affairent et se posent les questions qui comptent. C'est l'essentiel.

Un pas de côté donc, et moins de deux ans , si tout va bien, pour clore la dernière boucle de trajectoire. Ralentissement et jalons pour une sérénité d'argile qui  bâtit sa maison de sagesse et de paix durable. On est montée au grenier des certitudes, on a balayé la poussière pour comprendre ce qu'il faut jeter ou garder. On a commencé les travaux lentement, à pleine conscience... Sensation agréable de "déjà vu" et de "désormais périmé". On ne peut en dire davantage pour l'instant. Seul le poème sait parler la langue fondamentale des vies poussées à bout de bras et de courage.

 

Les gens qu'on a aimés fort, on les aime toujours...

Parole de Charles JULIET

        Et bien d'autres mots encore entre nos longs silences d'endurance...

 


Poème de circonstance | Pour Tanguy DOHOLLAU et Michaël GLÜCK | Des côtes d'Armor à la Méditerranée

 

 

Pour Tanguy DOHOLLAU et Michaël GLÜCK 

Epistoliers de JUILLET | 2015

 

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                      John Edward MENTHA

 

 

 

Enfermée derrière la grille qui entoure le

bassin des poissons rouges, une petite fille

pleure en regardant tout ce qui se trouve

maintenant pour toujours à distance.Ici

est  le centre du monde, elle ne pourra jamais

échapper à cette eau qui retient le ciel

dans la déchirure d’un œil

 

Heather DOHOLLAU

La Venelle des Portes

 

 

***

 

 

 le potier

assis dans la mémoire

tourne le vase et la plénitude

 

vin du désert

 

paroles… »

 

Michaël GLÜCK

Dans la suite de jours |dit

 

 

 

Nos voix, nos os, nos cendres, nos mots

 

Finalement il faudrait qu’on se dépêche un peu

à rassembler les moments forts de notre histoire

avant qu’ils soient recouverts par les récits affectifs

de nos enfants

 

Évocations forcément édulcorées, cariées, lacunaires

 

La mémoire est liquide, elle coule uniquement

où le passage est possible, jusqu’à la claustration

par une matière non soluble dans l’eau, provisoire :

 

Le livre avant qu’il ne soit submersible ?

 

La dalle de la tombe et les os blanchis en dessous,                   

seulement  s’ils ne sont  pas incinérés d’un coup

selon les nouvelles façons de mourir en nuées successives 

pulsées dans l’anonymat des cheminées de nécropoles ?

 

Les souvenirs ne s’accrochent pas davantage aux nuages

qu’aux  parois des caveaux car leur encre est trop dense

nerveuse, sinueuse,  lourde et prompte à chuter au fond du jamais plus,

efficace  ponceuse sur les parois du néant, délébile  et dévouée…

 

C’est pourquoi on conseille des épitaphes concises

mais nombreuses  aux poètes qui ont aimé les mots 

et la vie qu’ils trimballent à longueur de poèmes .

Les sculptures sont peut-être plus loquaces encore…

Quant aux images, même peintes, elles restent plus longtemps …

Mais d’emblée illisibles, tel sourire, tel regard, tel trait, telle couleur

telle attitude interprétable ou non.

Manquent le contexte et l’infime des détails

À chaque  image, il faut un code d’entrée

Une autorisation obsolète dès sa prochaine vision

L’auteur de l’image peut-être lui-même ou elle-même

La pensée qui l’accompagne ne peut –être capturée

L’élan scopique est animal, voyez-vous ? …

Il est une appropriation ajoutée à toutes les autres,

la bouche, l’esprit et les oreilles en avant,

prêts à incorporer la nourriture des vivants…

 

J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète,

Sculpteur ou Peintre  d’éternité au présent…

Quel repas, dis-tu,  avons-nous partagé ?

À quand,   et avec qui , le prochain ?

On verra... On lira ...

 

Marie-Thérèse PEYRIN  19 Juillet 2015  - 17H